La silhouette marche lentement, revêtue d'une ample cape que le vent du large fait harmonieusement voler autour d'elle. Le visage est dissimulé par la capuche, mais on devine une jeune femme. Elle monte quelques marches et débouche sur la jetée, que frappe une mer furieuse. Elle avance, malgré le danger. Elle va ainsi jusqu'au bout de la jetée et, immobile, se met à fixer la mer.
Un couple lutte aussi contre le vent. L'homme dit à sa compagne que la promenade est fichue. Il est monté machinalement sur la jetée. Et se fige face à la vision s'offrant à lui, là-bas. Il se précipite, stoppe près de l'inconnue et lui crie de reculer. Elle se retourne lentement et, en même temps que l'homme, on reçoit ce choc visuel et émotionnel : un visage beau, diaphane, où se lit une infinie tristesse. Regards qui se fixent, fusionnent. Instant suspendu qui a un côté irréel, magique !
Ce sont les premières images de ce film, si belles, si intenses, d'un romantisme si poignant qu'elles instaurent un charme cinéphilique qui défie le temps, longtemps, longtemps après !
On ne raconte pas un film comme "La maîtresse du lieutenant français". Mais quelques repères suffisent. Le scénariste n'a pas juste adapté habilement le best-seller de John Fowles. Il l'actualise en faisant se dérouler l'action à deux époques et sur deux plans différents.
D'une part, en 1860 - donc en pleine ère victorienne avec son puritanisme strict - à Lyme, bourgade anglaise. L'inconnue de la jetée en est la paria, coupable selon le titre, attendant depuis un improbable retour. L'homme qui tombe aussitôt sous son charme, bien que fiancé, est rentier et collectionneur de fossiles. Il va tout faire pour la revoir, percer son désespérant mystère.
D'autre part, toujours en Angleterre, mais pile un siècle plus tard, les mêmes personnages, replacés dans le contexte d'un tournage de film (géniale trouvaille du scénariste), portant le même titre-miroir. Les deux comédiens sont si impliqués qu'ils basculent à leur tour dans une liaison irraisonnée, alors qu'ils sont mariés !
Dans les deux cas, les deux contextes, c'est "l'Amour trop fort" !
Sarah la paria et Anna la comédienne, c'est Meryl Streep. "Manhattan", puis "Kramer contre Kramer" (Oscar du Meilleur second rôle) avaient révélé son immense potentiel de jeu. Sa double création, là, est vraiment époustouflante. Quand elle est Sarah, tout le romantisme magnétique du film s'exprime, se condense dans son visage très pur. Le célèbre directeur de la photo, Nestor Almendros, a résumé ainsi : "La caméra l'adore !".
Avec "La maîtresse du lieutenant français", oeuvre inoubliable, Meryl Streep est alors, logiquement, montée en grade au box-office américain !

Ticket_007
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes * ELLES ont le beau rôle !, * Fan des années 80 ! et Les meilleures comédies romantiques

Créée

le 15 janv. 2016

Critique lue 1.4K fois

17 j'aime

21 commentaires

Ticket_007

Écrit par

Critique lue 1.4K fois

17
21

D'autres avis sur La Maîtresse du lieutenant francais

La Maîtresse du lieutenant francais
Ticket_007
8

Brûlés par "l'Amour trop fort" !

La silhouette marche lentement, revêtue d'une ample cape que le vent du large fait harmonieusement voler autour d'elle. Le visage est dissimulé par la capuche, mais on devine une jeune femme. Elle...

le 15 janv. 2016

17 j'aime

21

La Maîtresse du lieutenant francais
Plume231
7

Mise en abyme, mise en parallèle... !!!

Un film d'une originalité indéniable, deux histoires d'amour, l'occasion d'une mise en abyme car l'une d'entre elles, qui conte un drame victorien, est en fait un film qui est en train de se tourner...

le 8 janv. 2016

9 j'aime

3

La Maîtresse du lieutenant francais
steka
8

Une interrogation ...

Un très beau film de Karel REISZ qui fonda avec ses amis Lindsay Anderson et Tony Richardson le mouvement "Free cinema" en Angleterre. A travers cette subtile mise en perspective de l'époque...

le 22 févr. 2012

7 j'aime

Du même critique

Qui veut la peau de Roger Rabbit
Ticket_007
9

Comédie policière et cartoon dopés par une "Fantasia" d'effets spéciaux

Un détective privé s'immerge dans le Hollywood de l'après-guerre, pour enquêter sur la brouille entre un acteur célèbre et sa femme. A peine a-t-il ciblé un potentiel rival que celui-ci est...

le 19 mai 2016

50 j'aime

8

L'Été meurtrier
Ticket_007
7

"Identification d'une femme"... vengeresse !

"L'Eté meurtrier" est resté à l'état de projet trois ans. Le temps qu'Adjani se fasse à l'idée d'endosser les habits d'une jeune femme ayant pour caractéristique sautant aux yeux de ne porter que des...

le 3 oct. 2015

43 j'aime

13

Les Ailes du désir
Ticket_007
9

Envolées en "eaux profondes" du Moi

Attention, chef-d'oeuvre ! Attention, danger ! Parce que "Les ailes du désir" est un spectacle anti-spectaculaire au possible, pour approcher cette vérité inconfortable : vivre en le sachant. On sort...

le 16 juin 2016

40 j'aime

22