La Grâce
6.5
La Grâce

Film de Ilya Povolotsky (2022)

"La grâce".... et la pesanteur

Derrière son titre énigmatique, qui voudrait situer son intrigue vers des sphères éthérées, le premier film de Ilya Povolotsky surprend plutôt par son opacité. De la grâce, on peut en trouver chez Tarkovsky, son illustre prédécesseur, en ce que la question du spirituel – auquel le terme « grace » renvoie inexorablement – y est consubstantiel à son univers. Avec Povolotsky, on cherche en vain à quoi il fait référence, tant son film, dont l'esthétique cherche à lorgner du côté du Maître, initie une atmosphère desséchée, où les paysages, arides seraient plutôt l'expression métaphoriques de la vacuité existentielle des personnages.

Car le moindre qu'on puisse dire de « La grâce », c'est que ce père et sa fille, jetés sur les routes avec leur van et leur matériel destiné à projeter des films, se signalent par un mutisme récalcitrant, et les rares paroles qu'ils s'adressent sont marqués par une sécheresse glaçante : des ordres pour le père, un désir d'être ailleurs pour la fille – quand elle parle de son envie de voir la mer, voulant fuir la caractère étouffant d'un paysage inhumain, on croirait que c'est pour le seul plaisir de connaître ce qu'elle n'a jamais vu, mais l'objectif, on le voit à la fin, est beaucoup plus motivé. Comme si l'intrigue du film, dans sa tension dilatée vers une résolution, n'était marquée que par une seule et unique motivation, vers lequel tendent les personnages, sans qu'il y ai besoin d'échange.

En cela, « La grâce » frappe sa « résistibilité » : résistance à la communication, qui fait baigner les personnages dans une sorte d'animalité rebelle, résistance à la découverte de l'autre (le père qui rejette le jeune qui veut les suivre, la fille qui, en partant avec celui-ci, le laisse tomber derechef, comme si son seul souci était de capter un cliché des personnes qu'ils rencontrent).

Au lieu de cela, Povolotsky, dans cette dérive humaine foncièrement dévitalisée, nous montre des amorces de relation où les femmes sont au mieux prostituées, les jeunes regardent des cassettes porno, et la jeune femme rejette tout désir. Et le cinéaste aura beau, dans sa séquence finale, filmer sa scène avec une caméra sur l'épaule tremblotante, comme pour signifier une délivrance ouvrant sur sur une nouvelle ère vibrante, c'est un peu tard pour qu'on puisse entrer dans son univers qu'il s'est appliqué, dans son geste formel hyper conscient, à verrouiller.


JumGeo
5
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le 14 févr. 2024

Critique lue 273 fois

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