Beaucoup de bruit a été fait lorsque le dernier né de Guillermo Del Toro, cinéaste et auteur, a débarqué sur les écrans de cinéma de festival en festival, jusqu’aux Golden Globes bien récemment en passant d'abord par la Mostra de Venise ou il remporte le lion d’or l’an passé face à The Three Billboards : Les Panneaux de la vengeance de Martin McDonagh ou encore Downsizing d’Alexander Payne présenté au même festival.


Mon affection pour Guillermo Del Toro étant grande, il ne m’en a pas fallu plus pour être motivé à découvrir son dernier né. Même si ma première expérience au cinéma en 2015 avec Crimson Peak s’est révélé être un pétard mouillé assez frustrant malgré sa qualité artistique ultra saisissante (et aussi parce que Mia Wasikowska montrait que son talent d’actrice ne se limitait pas à Alice au pays des merveilles de Tim Burton). Sans compter qu’il a eu accès ici à un budget beaucoup plus restreint que sa précédente production (passer de 55 millions à 19,5 millions de dollars ça pèse).


A ma grande surprise, The Shape of Water se révèle à mes yeux autant être un film de monstre qu’un film sur la condition sociale de diverses classes avec un léger sous-texte politique sur la guerre froide (qu’on aurait pu creuser un peu plus) dans les années 60. Un point qui permet de justifier la représentation caricaturale de la famille américaine conservatrice et du personnage du colonel Richard Strickland porté par un Michael Shannon finalement loin d’être aussi ridicule que j’aurais pu le craindre, tout comme la présence d’un infiltré Russe quêtant l’opportunité de récupérer l’homme amphibien dans le cadre de la course à l’armement (ou de l’avancée scientifique sur les USA).


Et au milieu de tout ça, nous avons Elisa Esposito (jouée par une Sally Hawkins ma foi très bien dirigée) faisant parti d’une minorité plus isolée de la société et dont ses proches font eux-mêmes parti d’une minorité. Débutant par Giles le voisin et ami d’Elisa, peintre sans emploi et à orientation homosexuelle, Zelda Fuller l’amie de couleur et collègue de travail faisant un bon ressort comique et l’homme amphibien campé par l’habitué aux costumes de monstres au cinéma, j’ai nommé Doug Jones.
Logiquement il en fait les principaux repères émotionnels du spectateur, et de ce côté-là l’attachement fonctionne très bien car Del Toro laisse parler sa mise en scène pour caractériser son héroïne


(y compris sa frustration sexuelle lorsqu’on la voit se masturber dans sa baignoire)


et décrire son quotidien et son entourage. Utilisant principalement de courts plan-séquences effectué avec fluidité, certains travelling tout aussi efficace et quelques gimmicks de mise en scène propre à ses films comme ce petit fétichisme sur le plan chaussure (dont une sur une paire rouge, couleur symbolisant le plus souvent l’amour et faisant écho à la scène précédente), bien soutenu par le travail à l’éclairage et à la photographie du chef opérateur danois Dan Lautsen déjà à ce poste dans Crimson Peak.


The Shape of Water choisit de parier un peu plus sur sa narration et l’entrecroisement de deux genres distincts que sur la direction visuelle : l’histoire d’amour sous forme de conte réel et le drame d’époque. Là encore un mélange très bien dosé grâce au découpage des scènes et leur rapprochement en termes d’intrigue, Del Toro n’en est pas à son coup d’essai. Mais le plan visuel et sonore n’en est pas moins bien traité, à l’image du design de l’amphibien comme de l’aspect conte pour adulte avec (pour la seconde fois consécutive) une ouverture couvert d’une voix-off narrant des événements récemment produit.
En plus de cela, à l'image de ses films fantastiques comme L'Echine du Diable et Le Labyrinthe de Pan, ça ne tombe pratiquement pas dans la mièvrerie en ce qui concerne la romance ni dans le sous-message politique de blaireau et il laisse vivre l'entourage d'Elisa à qui il parvint à donner du caractère, Zelda (y'avait pas moyen de lui trouver un autre nom que celle de la princesse des jeux vidéos ?) et Giles en tête.


Néanmoins il y a un autre reproche que j’aurais à formuler, c’est le personnage de Strickland qui je trouve souffre de la comparaison avec un autre antagoniste de la filmographie de Guillermo Del Toro : le capitaine Vidal qui répondait à une démarche plus discrètement et subtilement effectué dans Le Labyrinthe de Pan qu’ici (j’aime Michael Shannon mais ça n’est pas Sergi Lopez).
Du coup même si Shannon arrive à être flippante avec ce regard d’animal dominant qu’il affiche par moment, il aurait gagné à être plus ambigu en termes d’écriture.


Heureusement, cet ombre est vite recouvert par l’histoire d’amour aussi muette que tendre et poétique, voire même sensuelle entre Elisa et l’homme amphibien. Leurs échanges basés sur les signes et les vocalismes du monstre faisant toujours mouche et les instants d’intimité qu’ils partagent s’avèrent toujours très juste


(la seconde scène d’amour dans la salle de bain inondé comme un immense carré de cube ou tout deux semblent isolé du reste du monde).


Et quelle joie d’entendre de nouveau Alexandre Desplats en grande forme et proposer un travail musicale recherché et très bien ancré avec l’imagerie du film ! Le thème principal aux cordes avec cet enchainement de notes au piano et la sifflote derrière caractérisant bien l’étrangeté de la situation mais aussi son charme. Et du charme, on en trouvera aussi dans les chansons composées par Desplats pour le film et chantée par Madeleine Peyroux pour La Javanaise ou encore You'll Never Know chantée par Renée Fleming.


J’ai juste un peu de regret sur un manque de subtilité quant à la représentation de l’américain conservateur et d’émotion dans l’histoire d’amour entre Elisa et l’amphibien humanoïde, mais en tant que tel je ne vais pas en faire tout un plat. Au-delà de l’histoire d’amour à La Belle et la Bête très joliment revisité et de la patte tant dans la forme que dans le fond du cinéaste, Guillermo Del Toro prouve ce qu’il n’a pas forcément besoin de prouver en tant qu’auteur, à savoir donner une âme et une vie à son récit en dépit de quelques maladresses parcheminés.


En espérant que le succès critique (et un futur succès commercial j’espère) de son dernier né lui ouvre les portes à la concrétisation de ses nombreux autres projets.
Croisons les doigts !

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