Tantôt par son nombre record de nominations (d'abord aux Golden Globes puis aux Oscar), tantôt par les accusations de plagiat dont il a fait l'objet (accusations faites, d'une part, par Jean-Pierre Jeunet, et, d'autre part, par le fils de l'auteur de la pièce Let Me Hear You Whisper, Paul Zindel), on en aura entendu parler de ce nouveau cru de Guillermo del Toro ! Pour ma part, j'avoue avoir été littéralement enchanté par la première bande-annonce de The Shape of Water, refusant même de revoir cette dernière afin de conserver la sensation fantastique qu'elle m'avait procuré et de garder la surprise jusqu'au dernier moment. Mon engouement s'expliquait également par le fait que j'étais très enthousiaste à l'idée que le réalisateur mexicain revienne avec une histoire moins blockbusterienne que ne l'ont été celles de Pacific Rim et des deux Hellboy : si Crimson Peak tendait, lui aussi, à revenir aux fondamentaux (la patte de del Toro se fait bien plus sentir que dans Pacific Rim, à travers une ambiance horrifique et un esthétisme d'une rare beauté), le film ne m'avait pas convaincu en raison de son scénario. Avec Shape of Water, j'avais l'espoir de revenir dans un univers semblable à celui du Labyrinthe de Pan ou de The Devil's Backbone. Sans compter que le film rassemblait des acteurs que j'affectionne tout particulièrement (Sally Hawkins, Doug Jones, Michael Shannon et Michael Stuhlbarg). Autrement dit, Shape of Water était quasiment entré dans mon top 10 films avant même le visionnage !


Autant mettre fin au suspens d'emblée (quoi que ma note donne déjà un indice quant à mon ressenti) : le nouveau del Toro n'a pas été (et cela m'attriste de le dire) la révélation que j'attendais. En effet, j'ai eu étrangement beaucoup de mal à rentrer dans l'histoire, me focalisant plus sur ce qui me gênait, à commencer par le fait que j'ai trouvé que le film prenait le spectateur pour un demeuré : la manière avec laquelle on insiste (et ce avec très peu de subtilité) sur l'homo-sexualité de Giles, le voisin du personnage principal, Eliza, m'a agacé. J'ai eu l'impression qu'une main invisible ne cessait de pointer du doigt cela, en mode "regarde ! Il est gay ! Retiens bien cette information !" comme s'il s'agissait de quelque chose d'important. Alors oui, c'est vrai que le fait de se prendre un refus par le vendeur de tarte du coin va permettre à Giles de se rendre compte qu'il est seul et va le convaincre d'aider Eliza à faire échapper une créature aquatique, prisonnière d'un laboratoire où cette dernière travaille en tant que femme de ménage, mais j'ai trouvé que c'était fait avec un tel manque de tact que je n'ai pu m'empêcher de pouffer. Certes, cela s'inscrit dans la mise en contexte de l'époque (l'action doit avoir lieu dans les 1960's étant donné les divers indices parsemés dans le film) mais, encore une fois, la finesse avec laquelle cela est amené m'a laissé de marbre. Le personnage de Michael Shannon, Strickland, prend ensuite le relais en étant des plus caricaturaux : raciste, violent, infidèle, dépourvu d'émotions... il a tout pour plaire ! La courte immersion au sein de sa vie familiale m'a également surpris (... pas dans le bon sens du terme), celle-ci n'ayant que pour finalité d'accentuer le caractère détestable du personnage, qui contraste bien sûr avec la pureté et la beauté de la relation naissante entre Eliza et la créature (qui a évidemment été capturée par (je vous le donne en mille) ce cher Strickland).


Qu'en est-il justement de cette fameuse relecture de la Bête et la Belle ? Rassurez vous, je l'ai dans l'ensemble bien apprécié, sans pour autant l'avoir trouvé originale. En effet, les prémices ainsi que le développement de la relation unissant les deux protagonistes se veulent assez classiques mais cela ne l'empêche pas d'être touchante. C'est avant tout les prestations de Sally Hawkins et de Doug Jones qui retiennent l'attention du spectateur en livrant de très belles séquences. À ce propos, je me souviens avoir été assez surpris par le choix pris par del Toro concernant la nudité, non pas parce qu'elle m'a choqué mais parce qu'elle est assez inhabituelle (voire quasi-inexistante) dans la filmographie du mexicain. Heureusement, la nudité est ici traitée avec une grande finesse et une réelle pureté ainsi qu'une rare sincérité se dégagent desdites scènes. J'avoue cependant avoir trouvé la scène dans laquelle Eliza inonde la salle de bain beaucoup trop similaire à celle de Delicatessen de Jean-Pierre Jeunet. Ayant lu les articles concernant les "tensions" entre les deux réalisateurs avant mon visionnage, j'étais curieux d'avoir mon propre avis concernant les éventuels copier-coller et j'étais donc préparé à en déceler. Si la scène de la petite chorégraphie sur le canapé au début de Shape of Water ne m'a pas paru reprise du film de Jeunet, j'ai par contre trouvé celle de la salle de bain très (trop ?) semblable à celle de Delicatessen. Après, Jeunet a lui-même avoué qu'une scène similaire avait été réalisée par Laurel et Hardy auparavant donc bon... Pour revenir aux deux protagonistes principaux, je trouve que le rendu de la créature n'est pas dénuée d'une certaine noblesse et qu'elle est sublimée par les capacités physiques de Doug Jones, donnant ainsi vie à une créature à la fois sauvage et intelligente, et que Sally Hawkins, qui est de base une actrice très expressive, a ici l'opportunité de décupler son expressivité étant donné que son personnage est muet. La séquence très osée et novatrice au cours de laquelle Eliza prend la parole, pour ensuite, danser avec la créature, dénote réellement et se veut être la scène phare du film : Guillermo del Toro réussit à rapprocher The Artist de Michel Hazanavicius et la Belle et la Bête avec brio. Il s'agit également d'une séquence très puissante dans la mesure où Eliza semble incapable de s'exprimer, impuissante, en lutte, tandis que la créature semble plus préoccupée par son œuf.


À côté, il y a également le docteur Hoffstetler, campé par Michael Stuhlbarg, qui vient, lui aussi, apporté sa contribution au côté caricatural du film. Le cul entre deux chaises entre d'un côté les russes, et de l'autre, les américains, ce scientifique, qui n'est pas non plus dénué d'une certaine sensibilité, permet d'illustrer les tensions de la Guerre Froide mais également de porter l'action ailleurs. Sans lui, cette dernière serait limitée à l'appartement d'Eliza et au laboratoire, et passerait de l'un a l'autre de manière continue, ce qui aurait été très certainement redondant à la longue. Après, je trouve que l'attention portée sur l'arc de Hoffstetler est peu être un peu trop importante, me rappelant avoir ressenti quelques longueurs notamment durant les scènes au cours desquelles il tente de négocier avec les russes. En revanche, j'ai trouvé le plan montrant Hoffstetler, en train d'épier dans l'ombre Eliza et la créature, magnifique. Ce qui m'amène à vous dire un mot sur la réalisation du film, qui m'a paru, dans l'ensemble, très classique. Quelques plans se démarquent, tel que celui que je viens de mentionner ou celui du regard d'Eliza adressé à Giles après qu'il ait ouvert la porte de la salle de bain qui était alors remplie d'eau, mais je n'ai pas été plus transcendé que cela par la réalisation. De plus, la bande son d'Alexandre Desplat est très linéaire, dans le sens où aucun titre ne se démarque véritablement, et ressemble un peu trop à celle des films de Jeunet ou de Hugo Cabret. Cependant, cela n'empêche pas à certaines scènes d'apporter un peu de magie, notamment celle de la première danse d'Eliza et de la créature, qui apporte une certaine chaleur et contraste à l'atmosphère froide du laboratoire, ou celle où ils se retrouvent dans une salle de cinéma vide. Néanmoins, cette magie n'est pas assez présente à mon goût, le film étant davantage un thriller historique d'espionnage qu'un film fantastique puisqu'il met au premier plan l'arc d'Eliza et de la créature, suivi de près par celui de Hoffstetler et celui de Strickland. Le film termine tout de fois sur une note assez fantastique et poétique, bien que classique (peut être même prévisible ?) elle aussi.


En somme, j'ai un peu de mal à comprendre les retours élogieux concernant The Shape of Water, qui est loin d'être un mauvais un film mais qui n'est pas non plus le chef d'oeuvre, ni même le conte de fées, que la promotion promettait : il s'agit d'un film plaisant à découvrir malgré ses défauts mais d'un Guillermo del Toro un peu trop convenu ! 6/10 !


Mise à jour du 10 avril 2020 : Suite à la découverte de The Space Between Us, je me suis rendu à l'évidence que je me devais de baisser ma note car je suis assez consterné par la paresse qui caractérise ce film : si je ne l'ai jamais trouvé très inspiré, l'amertume que m'a laissé la ressemblance plus que troublante avec le court-métrage de Marc S. Nollkaemper a eu raison de moi ! 4/10 !

vic-cobb

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