De l'ombre des mines à la lumière des villes

Film censuré à sa sortie, la providence a voulu que l'on retrouve le négatif original et que l'on sauve de l'oubli ce chef-d'œuvre des années 60 du cinéma franco-italien avec un casting quatre étoiles: Lino Ventura, Bernard Fresson, Marina Vlady et Magali Noël (excusez du peu) avec un scénario co-écrit par Pasolini en plus (et une adaptation et des dialogues français signé José Giovanni). Les causes de cette censure: des "démocraties" ( franco-italiennes) qui n'aiment pas trop à l'époque que l'on pointe du doigt l'exploitation, dans des conditions archaïques, de la main d'œuvre italienne dans les mines belges et des scènes mettant en avant la prostitution à Amsterdam. Dans les deux cas, il en ressort des personnages hauts en couleurs, passionnants et attachants, subissant chacun à leur manière les rouages de l'exploitation de l'Homme dans une de ses plus sombres facettes. Tout ça dans une maitrise cinématographique exemplaire de la part du réalisateur italien Luciano Emmer qui nous offre des plans se faisant écho et illustrant le contraste par exemple entre le sombre et étouffant univers des mines et les plages illuminées hollandaises dont le vent balaie les berges peuplées de hautes herbes.


La première partie du film est impressionnante dans sa mise en abîme réaliste, où de jeunes émigrés italiens fraichement arrivés de leurs villages respectifs se retrouvent dans la gueule du loup à savoir les mines de charbons en Belgique. On travaille, on sue, on souffre et on étouffe avec eux. On admire ces gueules noires, bouffant du charbon à longueur de journée, jamais épargné par le diktat des petits chefs toujours sur le qui-vive, nourries à la rentabilité coûte que coûte, ignorant les risques. Preuve en est dans une scène d'accident d'éboulement où se succède une attente insoutenable. Une scène claustrophobique où l'espoir et la solidarité se mêlent à l'angoisse et la fatalité.


La descente du monte-charge nous aspire. Il en remonte l'essence même de la fraternité parmi ces mineurs venus d'un peu partout (car le film ne montre pas que des italiens) que la galère unies au-delà de la barrière de la langue. Une langue qui se délie autour des verres que l'on offre sans compter, quitte à cette fois creuser ses dettes.


Et puis il y a ces filles dans la vitrine, soucieuses d'afficher une belle façade pour cacher la misère. Une façade et une froideur comme une armure chez Else (Marina Vlady) pour se prémunir contre l'affect et qui laisse apparaître une Marina Vlady énigmatique à la beauté ensorcelante. Une armure qui va se fendre devant le beau et timide Vincenzo (Bernard Fresson). Au début on n'embrasse pas, puis on se laisse embrasser parce qu'on voit dans les yeux de l'autre plus qu'un client mais le miroir de sa condition. Ils ne sont plus les exploités, ils s'appartiennent l'un à l'autre pas pour toujours certes mais cet instant est à eux et c'est ce qui les fera tenir. Else trouve le réconfort dans l'innocence de Vincenzo. De son coté, Chanel (Magali Noël) retrouve Federico (Lino Ventura) et croit y trouver plus qu'un client régulier mais ce qui lui semblerait être une certaine idée de l'amour. Federico (Lino Ventura) réfractaire à tout sentimentalisme, veut juste passer du bon temps avec amis et amantes sans penser à la mine. Mais entre deux accès de virilité, il reste conscient de ce que Chanel représente pour lui. Dans ce couple semble se dessiner l'avenir de celui d'Else et Vincenzo. En vérité, ces filles dans la vitrine seront comme une raison de rester, de continuer, l'espoir de lendemain meilleur même s'il ne dure qu'un week-end. C'est déjà ça et c'est déjà beaucoup pour eux.


Le film connaît toutefois un moment de creux, entre jalousie puérile et réconciliation attendue et les bagarres qui arrivent un peu comme s'il fallait absolument qu'il y en ait, histoire de montrer Lino en grande forme. Mais on suit pourtant avec plaisir, le voyage à Amsterdam où se mêlent rire, mélancolie, romantisme et amitié virile (oui parce que le milieu ne se prête pas trop non plus à du sentimentalisme de bas étage, tant mieux c'est pas trop le genre de Lino).


Un film à voir pour les fans de Lino Ventura et Bernard Fresson notamment mais aussi pour les amateurs du néo-réalisme italien dont le film représente un bel héritage à mes yeux, soucieux de la condition sociale des Hommes tout en ne tombant pas dans un misérabilisme. En effet, c'est la tête haute que les deux hommes retournent à leur labeur, plus riches de leurs épreuves qui forgent leur existence et leur amitié.

StanDC
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le 21 nov. 2020

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StanDC

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