Critique originale sur Le Mag du Ciné


Après avoir ouvert la 72ème édition du Festival de Cannes mardi 14 mai avec le remarqué The Dead Don’t Die, c’était au tour de la section Un Certain Regard de faire son ouverture mercredi 15 mai avec le premier film de Monia Chokri, La femme de mon frère. Une première journée de festival globalement portée sur la comédie avec également Le Daim qui ouvrait la Quinzaine des Réalisateurs, loin de l’académisme cannois mais pour le plus grand plaisir des festivaliers.


Après avoir été révélée dans Les amours imaginaires de Xavier Dolan en 2010 dans cette même sélection, Monia Chokri passe aujourd’hui du côté de la réalisation pour proposer un film euphorisant, rempli de couleurs. Vivifiant, dynamitant, La femme de mon frère fait du bien dans sa légèreté et sa fantaisie, souvent absentes à Cannes. Avec un cadre coloré, une composition parfois digne de son compatriote et ami, Xavier Dolan qui lui vaut d’ailleurs de très beaux plans, et un personnage plus qu’original, le film a très bien ouvert la sélection Un certain regard, sous l’œil amical du réalisateur québécois d’ailleurs.


L’œuvre est remplie de charme. Que ce soit dans la personnalité de ses personnages tous attachants et drôles, avec leurs mimiques qui livrent de beaux moments de gag chacun leur tour, ou dans le message, finalement très sérieux, que la cinéaste veut faire passer à travers leurs relations. Si l’on a au début très envie de participer à ces repas de famille festifs, agités mais surtout à mourir de rire, l’envie passe à la fin quand on se rend compte que le comique de ces situations résulte souvent de l’incapacité à se dire les choses, comme souvent en famille, et de cette incapacité, surtout à se dire que l’on a besoin les uns des autres. La fantaisie avec laquelle Monia Chokri raconte ses personnages est d’une générosité folle de la part d’une réalisatrice à ses comédiens, qui profitent pleinement de ce film comme un terrain de jeu où l’excès a très souvent sa place. Certains s’identifieront à cette fratrie fusionnelle et complice et seront inévitablement touchés par l’histoire qui les lie et les délie. On le sait, l’humour cache souvent de bien grandes choses profondes et intimes. Mais si ici, le personnage joué avec un naturel fou par Anne-Elisabeth Bossé fait parfois rire malgré elle, dans sa manière d’être, qui suffit à elle-même pour tenir les scènes, c’est aussi parce qu’elle incarne une héroïne moderne plus que jamais dans l’ère du temps. À l’heure où les sur-diplômés se retrouvent refoulés de tous les emplois, et où le travail à leur niveau d’étude se fait de plus en plus rare, il reste pour la grande majorité, l’errance et le désespoir. Ce sont ces deux sentiments qu’il reste à Sophia et qu’elle va alors exploiter à l’excès passant de l’hystérie au découragement en quelques secondes durant toute la durée du film. Une cacophonie québécoise jouissive et dans laquelle on se plaît à se perdre parfois.


Le film est donc une belle réussite dans son écriture et sa narration, mais l’ambition de la cinéaste ne s’arrête pas là puisqu’elle se saisit entièrement de toutes ses tâches en offrant un montage totalement fou qui se retrouve être une des forces essentielles du film. Oscillant entre des cuts totalement abrupts à l’intérieur d’une même scène et des transitions plus joviales ou musicales, le montage rend au film toute son originalité et son absurdité mais participe surtout à son éclat et sa dynamique entraînante.


Sortir de ce film à l’issue d’une première journée cannoise est tout ce qu’il y a de plus vivifiant et même si l’on sait la suite moins euphorisante dans son ton, on l’espère aussi agréable.

gwennaelle_m
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le 16 mai 2019

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