La Bretagne, terre d’imaginaire et de légendes. Une Bretagne littorale, terre à la rencontre de l’eau, parfois rongée par elle, qui crée alors des gouffres et des abîmes dévorateurs d’enfants happés par une course folle. Une terre frontière entre la vie et la mort, porteuse de jolis enfants abandonnés, à la personnalité double, jetés dans le doute et le trouble existentiels par un prénom qui ouvre à l’éventualité de l’hypothèse : « Si mon... ».


Léo Karmann, co-scénariste avec Sabrina B. Karine, réalise ici un premier long-métrage fascinant, où les genres, à l’image du territoire qui héberge l’intrigue, s’interpénètrent et se mêlent. S’attachant d’abord aux pas d’un délicat orphelin en mal d’adoption, campé par le jeu infiniment émouvant du jeune Albert Geffrier, le film bascule soudain dans le fantastique. Mais un fantastique très directement héritier de celui qui innervait la littérature française du XIXème siècle, de Maupassant à Villiers de l’Isle-Adam, sans oublier le trop peu connu Lermina. C’est-à-dire un fantastique mis au service du psychologique, et non du sensationnel ou de la recherche forcenée d’effets spéciaux ébouriffants ; un fantastique qui permette l’affleurement du fantasme, l’exploration des liens familiaux et de la psyché, de ses gouffres, de ses folies...


Les trois premiers quarts happent ainsi le spectateur dans une spirale de désirs nécessaires, tellement imbriqués les uns dans les autres qu’on pourrait presque les croire parvenus à une forme d’équilibre et de stabilité. La direction d’acteurs, et notamment des enfants, est magistrale, installant un naturel dans la déraison et donnant vie à l’invraisemblable, grâce à un très subtil sens du détail. Une délicatesse et une harmonie de jeu qui se poursuivent chez les jeunes acteurs qui succèdent aux enfants ayant incarné leur personnage : Benjamin Voisin (Simon), Martin Karmann et Camille Claris. Les parents ne sont pas en reste, animés plus que joués par Julie-Anne Roth et Nicolas Wanczycki.


On regrette d’autant plus le dernier quart d’heure, qui se précipite tête baissée dans un enchaînement d’actions aux allures de thriller et frôle dangereusement les abîmes de l’excès et du sentimentalisme héroïque... Le tout sur fond d’une musique qui se sent pousser des ailes mais n’allège rien, alors que son compositeur, Erwann Chandon, avait accompagné de façon bien plus convaincante les âges de l’enfance.


Mais la mise en place a su être si prenante, les attentes, les rêves, le sérieux et les exigences de l’enfance se sont vus saisis avec tant de vérité que l’on ressort heureux et ému de ce « beau conte d’amour et de mort », qui révèle de jeunes acteurs si impressionnants.

AnneSchneider
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le 18 janv. 2020

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Anne Schneider

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