C'était la première fois que je voyais ce film considéré comme l'une des pierres angulaires du Nouvel Hollywood. Je connais mal Bogdanovitch en plus, je n'avais vu que son premier (et excellent) La Cible. Je n'ai pas été tout de suite convaincu, étonné par le choix du noir et blanc très esthétique (alors que tout le NH se fera en couleurs), par une diction des acteurs un peu trop 50/60 marquée par l'Actor's Studio et par une ambiance un peu trop lourde, genre à la Tennessee Williams... Mais bon, c'est bien fait, bien filmé, donc je passe sans mal là-dessus. Et très vite, le film gagne en moi et je suis happé par lui, et je trouve vite ça totalement formidable. A cause de deux éléments principaux. Le premier c'est la manière dont le Sexe et la question du Sexe gagne, contamine même, absolument tout le récit. Les rapports entre les personnages, les motivations de chacun, les arcs du récit, sont entièrement conditionnés par le rapport physique à l'autre. Et là, le film devient totalement moderne, et du coup, tord dans tous les sens le cinéma plus classique dont il faisait mine de s'inspirer au début. ça va plus loin que ça puisque les deux personnages solitaires : le petit à la casquette et Sam the Lion sont les deux personnages qui vont mourir. Pas de rapport physique avec l'autre, pas de vie possible. Mais ces rapports physiques ne sont pas pour autant heureux. Ils se font sans envie, presque machinalement, pour combler une trop grande solitude, pour chasser l'ennui, presque machinalement, comme on s'échange une marchandise. Les personnages n'en sont pas plus heureux, mais ça leur permet de survivre. Tous sont coincés au milieu du désert Texan. Bogdanovitch parvient là encore à mettre en scène une idée emblématique du NH, à savoir l'errance mêlée à l'immobilisme. Ils ont le monde à leur portée, ils pourraient s'enfuir et recommencer quelque chose de mieux, mais ils sont scotchés à leur trou pourri comme si un aimant gigantesque les ramenait toujours à leur point de départ, qu'ils ne peuvent pas quitter. Au milieu de cela, il y a ce cinéma, déserté par tous, qui n'est plus fréquenté que par trois jeunes gens et qui, faute de public, va mourir. La dernière séance projetée est un film de Ford me semble-t-il, avec John Wayne. Et après, c'est la fin. La fin d'une salle, la fin d'une ville qui sera encore plus morte qu'avant. Mais aussi la fin de l'âge d'or hollywoodien. Je comprends alors mieux pourquoi ce film est si important dans l'histoire du Nouvel Hollywood. Et je comprends aussi que je viens de voir un grand film.
FrankyFockers
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le 15 juil. 2013

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