La dame au petit chien, adaptation au cinéma de la nouvelle éponyme de Tchekhov, a été présenté à Cannes en 1960, la même année que L'Avventura d'Antonioni.

Issues d'univers profondément différents, ces deux œuvres n'en traitent pas moins de thèmes parfois forts similaires - l'ennui, l'adultère, le désordre amoureux, le vide - et mettent en scène des personnages provenant également de la bourgeoisie.
Evidemment, face à l'imposante place qu'occupe L'Avventura dans l'histoire du cinéma, le film d'Iossif Kheifitz semble d'abord faire pâle figure. Ses moyens cinématographiques semblent eux-mêmes plus limités : on retrouve dans sa manière de filmer quelques légères vieilleries, et des procédés traditionnels qui semblent à peine émancipés des codes du muet. Comparé au chef-d'oeuvre d'Antonioni, La dame au petit chien a malheureusement un peu vieilli.

Mais, soit. Disons-le seulement par sincérité. Car, pour le reste, que peut-on reprocher au réalisateur russe ? Il sait capter avec sincérité et sans surenchères (comme c'est le risque constant chez Antonioni, beaucoup plus intellectuel) les émotions du visage, la place affective des objets dans l'espace, ou encore les changements de lumière dans les paysages : mers, ciels, rochers, neige, rues, qui accompagnent ses personnages en déroute avec une importance qui n'a pas franchement à pâlir face au réalisateur italien (dont on connaît, bien sûr, l'infinie science des objets et des paysages).
Mais Iossif Kheifitz a avec lui l'avantage de la simplicité. Bien sûr, son film est au plus près de la nouvelle magnifique de Tchekhov, et n'invente cinématographiquement rien de très original. Mais ce n'est pas un problème. On reste ému par l'honnêteté du jeu (bien que parfois un peu théâtral), la très grande générosité et finesse du regard, cette manière d'accompagner les acteurs comme pour leur rappeler l'émouvante beauté triste de cette histoire : celle d'un amour adultérin malheureusement compréhensible, et si difficile à vivre.

Comme chez Antonioni, les personnages ne savent pas quoi faire, marchent sans but dans la rue, regardent au lointain de longues minutes ; comme chez Antonioni, mais de manière plus discrète, plus silencieuse, le monde prend l'avantage sur les hommes, et les étouffe par la marche qui leur impose. Mais, par sa facture classique (minimaliste, a-t-on écrit), élégante quoiqu'un peu surannée, La dame au petit chien, avec sa fin en suspens magnifique, sans surlignage, sans coup de force, apparaît peut-être davantage comme une œuvre à "voix basse", comme disait Ozu.
Nody
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le 15 août 2011

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