La Shoah par balles a commencé en Pologne dès 1940, peu après l' invasion du pays par les unités de la Wehrmacht ; elle s'est systématisée, mais est apparue très vite comme une méthode coûteuse en munitions et surtout en conséquences sur ses exécuteurs qui sombraient dans la dépression et l'alcoolisme d'être ainsi placés en contact trop rapproché avec leurs victimes. Sans parler de la faible rentabilité de la méthode quand viendra l'heure d'exécuter les onze millions d'hommes et de femmes de confession israélite que le nazis avaient recensés en Europe, car telle était l'ampleur de leurs intentions.

La conférence des ingénieurs de la mort a abordé ces questions en préambule, avant de poser la question de la méthode la plus efficace et la plus rationnelle pour organiser la purification ethnique à l'échelle du continent européen.

Je parlerai des juifs en faisant référence à leur religion ; en cela je suis très éloigné des nazis pour qui la religion de leurs victimes n'était qu'un aspect accessoire. Ils les voyaient comme un peuple, exogène, parasite qu'ils désignaient comme la cause première de tous les maux de l'Allemagne et comme les fauteurs de guerre dont la nation allemande avait été et risquait encore d'être la victime... Pour Hitler et ses hommes de main, le juif était à éliminer de l'aire allemande, en un premier temps en l'invitant à quitter le pays, puis en instaurant un régime de brimades et de menaces dont la nuit de Cristal, du 9 au 10 novembre 1938, fut l'apogée pour accélérer le mouvement d'émigration trop lent à leur goût.

Les juifs allemands avaient une détestable obstination aux yeux des nazis. Ils persistaient à se considérer comme des citoyens allemands à part entière, des citoyens ayant apporté leur contribution à la culture allemande, ou à celle de l'Europe centrale de langue allemande, à l'efficacité de l'économie et à l'effort patriotique de la Première Guerre mondiale. Ils ne se voyaient en aucune manière comme des citoyens de seconde zone, apatrides et parasites comme Hitler les avait désignés.

Si les ressortissants allemands de confession israélite qui ont choisi l'émigration ont été accueillis par des pays voisins, dont la France, en un premier temps, peu à peu les portes se sont fermées devant eux, aucun pays au monde n'acceptant de les accueillir en grand nombre. AucuneTerre promise envisagée pour les rassembler ne recueillant un assentiment véritable, la "question juive" restait entièrement posée.

La solution finale à la question juive sera pour les nazis le meurtre de masse et c'est cette solution que Reinhard Heydrich va exposer méthodiquement pour en convaincre du bien fondé ceux qui auront à consentir à cette politique et surtout à participer à sa mise en œuvre.

Le cerveau de Heinrich Himmler convoque une réunion au sommet, connue comme la Conférence de Wannsee, du nom de la station balnéaire des environs de Berlin. Si les ingénieurs de la Shoah ont déjà planché sur la rentabilisation de l'élimination des juifs d'Europe, ils savent que sa mise en œuvre va se heurter à des résistances qui, pour formelles qu'elles peuvent être, n'en seront pas moins réelles.

Le Reichsführer-SS Heinrich Himmler et son âme damnée Reinhard Heydrich sont à la tête d'un Etat dans l'Etat, ils sont enviés et jalousés et se heurtent régulièrement à d'autres dignitaires du Reich, civils ou militaires. De la même manière, les tenants des théories racialistes du régime se heurtent régulièrement à ceux qui tiennent à un certain formalisme juridique dont les lois raciales de Nuremberg en 1935 sont les fleurons.

Une partie de la population de l'Europe, dont prioritairement les juifs, est vouée à l'extermination. Ceux-ci sont promis à la mort, en deux temps : d'abord les enfants, les femmes et les plus vieux, puis les hommes épuisés après un temps d'esclavage pour faciliter les colonisations à venir dans les territoires de l'Est puis de l'économie de guerre.

Les camps d'extermination (qui n'ont rien à voir avec les camps de concentration pour opposants politiques, il faut le rappeler) d'Auschwitz, de Sobibor et de Treblinka en sont les instruments les plus connus. Eliminer l'existant d'abord, mais également empêcher la race honnie de se reproduire. Se pose donc la question des couples mixtes et l'avenir de leurs enfants réputés métis qui pourraient à terme favoriser la renaissance d'une communauté.

Qui est vraiment juif ? Les lois de Nuremberg de septembre 1935 sur la protection de la race et la citoyenneté n'avaient pas tout réglé, loin s'en faut. Leur formalisme et leurs lacunes avaient même paralysé l'action des SS à Berlin en 1943, quand les épouses berlinoises exigèrent la libération de leurs maris juifs détenus dans un immeuble de la rue des Roses. Episode dont Margareth Von Trotta a tiré en 2003 son magnifique film intitulé Rosenstraße.

Deux heures de réunion pour exposer le projet, vaincre les réticences et rallier la petite assistance aux mesures les plus radicales, car ne nous y trompons pas, il y eut des réticences, des hésitations, bien au-delà du simple formalisme juridique ou des querelles et rivalités de personnes. L'Allemagne n'en restait pas moins un pays de Belles Lettres et de vieille culture et le laminage des esprits par le national-socialisme n'avait pas encore tout annihilé. Ceux qui avaient l'esprit le moins obscurci par le fanatisme idéologique ou simplement ceux qui étaient en capacité de tirer les leçons de difficultés rencontrées dans des actions radicales antérieures, étaient susceptibles d'émettre des réserves.

L'élimination de ceux dont "la vie est indigne d'être vécue" et qui sont considérés comme des bouches inutiles s'est heurtée aux protestations des familles et à des condamnations répétées par les églises protestantes et catholiques. L'acceptation de l' euthanasie des enfants (Kindereuthanasie) et l'Aktion T4 organisant l'assassinat des adultes en hôpitaux psychiatrique ne coulaient pas de source dès lors qu'étaient concernés des proches ou des êtres aimés. Il convenait de tirer tous les enseignements de ces réserves ou refus et d'éviter que les mesures envisagées contre les juifs entraînent les mêmes conséquences.

Ce long préambule pour contextualiser le film pourrait en fait servir de compte rendu exhaustif de cette « Conférence » qui s'est tenue le 20 janvier 1942.

Aucun des douze participants, y compris l'un ou l'autre, qui exprimait quelques réticences devant la systématisation envisagée et sur la manière d'envisager le génocide des juifs, n'inspire la moindre empathie aux spectateurs que nous sommes. La Conférence de Wannsee n'a d'autre fonction que de valider ce qui est déjà élaboré et expérimenté dans les territoires conquis sur le front Est et de recueillir l'accord de l'ensemble des représentants des administrations de l'Etat et de la Wehrmacht. Ce que Reinhardt Heydrich résume par la formule «  Aucune d'entre elles ne pourra dire qu'elle n'était pas au courant »

La logique infernale que Reinhard Heydrich et ses collaborateurs les plus proches exposent dans toute sa froideur et tout son cynisme peut ainsi donner son libre cours.

A dire vrai, je n'ignore rien de ce qui s'est passé à Auschwitz, à Sobibor et à Chelmno. A vrai dire, je savais où et de quelle manière les principales décisions qui ont conduit à l'extermination de millions de personnes ont été prises.

Je n'y étais pas et je ne suis moi-même témoin de rien. Je sais pour avoir entendu des rescapés se souvenir ; j'ai lu et j'ai entendu et j'ai vu leurs terribles témoignages que des complices ou nostalgiques du national-socialisme tentent de nier.

La Conférence de Matti Geschonnek est un nouveau document à charge contre le nazisme. Les jugements rendus par le Tribunal militaire international de Nuremberg ainsi que les douze autres procès de même nature qui suivirent et l'accompagnèrent seront notre réponse à cette barbarie et devront l'être pour les crimes contre l'humanité en cours ou à venir.

Freddy-Klein
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le 28 mai 2023

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