Le début du film est très intéressant à détailler puisqu’il commence exactement là où finit « La mort aux trousses » d’Hitchcock. Vous savez, quand le train pénètre dans un tunnel juste après qu’on ait vu Cary Grant et Eva Marie-Saint s’embrasser, le mouvement du train symbolisant l’acte sexuel.

Immédiatement après, nous observons Marcello Mastroianni dans un compartiment à l’ancienne où il détaille une femme l’air de rien. Snaporaz (Mastroianni) est un homme légèrement vieillissant et visiblement fatigué, ce qui n’enlève rien à son goût pour les femmes, son besoin de séduction et une libido des plus actives. Simple d’apparence, la scène est parfaitement révélatrice. Snaporaz et la femme se font face, le train avance normalement et les cahots impriment aux deux protagonistes un léger tressautement régulier, en cadence ! Vous avez compris… ils se font face et se regardent silencieusement, exactement comme s’ils étaient en train de faire l’amour, sauf qu’ils sont habillés et ne se touchent pas. Si, au bout d’un moment leurs mains se rencontrent lorsqu’ils attrapent en même temps une bouteille d’eau minérale vide qui glisse sur la tablette de commodité relevée entre eux. Une bouteille en verre, objet lisse et incolore, symbole phallique sans la moindre équivoque ! Des enfants jouent bruyamment dans le couloir et jettent un oeil amusé dans le compartiment. Alors, la femme se lève pour aller aux toilettes. C’est une brune, la trentaine, féminité épanouie, élégante, chapeau et bottes. Ce qu’en pense Snaporaz « Quel cul ! » Et il la suit pour la rejoindre aux toilettes. Elle y est allée sans se presser, lui laissant le temps de venir s’enfermer avec elle. Là, il se colle contre elle, lui disant qu’il la trouve irrésistible, qu’il la désire. Ni surprise ni indignation… elle lui accorde un baiser langoureux. Mais dans ce réduit, à deux, avec les mouvements du train qui déséquilibrent complètement, passer à l’acte va se révéler délicat. Comme quoi, mesdames et messieurs qui fantasmez sur « le faire dans un train » préparez vous à affronter quelques difficultés techniques…

Rapidement le train s’arrête et la dame doit descendre. Péripétie typique de la thématique développée ici par Fellini. Beaucoup d’efforts déployés vis-à-vis d’une femme attirante et apparemment consentante, mais les aléas qui empêchent d’obtenir satisfaction, la femme qui se révèle joueuse, fuyante, inaccessible voire sur la défensive.
Encore une fois, Snaporaz suit cette femme. Étrangement, nous sommes en pleine campagne. La femme se laisse suivre complaisamment. Le duo arrive alors, en pleine forêt, à l’improbable hôtel Miramar, un palace où Snaporaz se retrouve rapidement entouré d’une multitude de femmes. Cette cîté des femmes est en fait le lieu d’une sorte de rassemblement féministe où les participantes laissent Snaporaz se déplacer, observer et écouter, car elles le considèrent comme le journaliste devant rendre compte de l’événement. Snaporaz se retrouve dans une sorte de dédale où les femmes chantent, dansent, parlent, rient ensemble et vont jusqu’à participer avec conviction à un cours de self-défense. Autant dire que si l’une d’entre elles demande naïvement « C’est quoi la fellation ? » l’ambiance est plutôt revendicatrice, puisque celles qui s’entraînent concourent pour le prix du meilleur coup de pied dans les testicules. Il faut voir la hargne déployée par la plus efficace contre le mannequin aux attributs masculins !

On a l’impression que Snaporaz va errer dans ce labyrinthe pendant deux heures (ignoré par celle qu’il suivait), lorsque cette première partie se termine de façon inattendue parce qu’une femme propose de l’emmener. De péripétie en péripétie, Snaporaz ne fera qu’échapper à une femme lubrique pour tomber dans d’autres traquenards. A un moment, il est poursuivi de nuit par des femmes en voiture qui le harcèlent sans raison apparente. Malgré des différences, cette séquence rappelle encore « La mort aux trousses » quand Cary Grant tente d’échapper à l’attaque d’un avion alors qu’il attendait un bus en rase campagne. Comme Cary Grant, Marcello Mastroianni semble irrémédiablement acculé.

Dans la seconde partie, Snaporaz est recueilli par un dénommé Katzone (Krösphallus selon la VO…), dans une demeure qui se révèle un nouveau labyrinthe où Snaporaz va être confronté à des situations toutes plus inattendues les unes que les autres. Je retiens notamment la séquence où il explore, seul, un grand couloir décoré de cadres où on peut voir des photos de femmes. Quand Snaporaz appuie sur un bouton, le cadre s’allume et on entend la voix d’une femme en situation intime : murmures, soupirs, gémissements, halètements, etc. Un nouveau jouet pour Snaporaz !

Bref, une fois encore, Fellini utilise son talent de cinéaste pour embarquer le spectateur dans son monde. Beaucoup de trouvailles visuelles, des situations qui s’enchaînent pour de perpétuelles surprises. De très belles images et une ambiance inimitable. Ceci dit, la logique est tellement personnelle que le spectateur est un peu submergé, le seul fil directeur étant celui des fantasmes qui se succèdent comme dans un rêve, de façon parfois très belle mais franchement désordonnée. Bien évidemment, ce n’est pas sans raison, mais on peut regretter l’aspect répétitif qui met éternellement Snaporaz en situation de fuite. Certes c’est un immature qui cherche à affirmer sa virilité de façon obsessionnelle et irréfléchie. C’est une situation inhabituelle pour ce séducteur (première partie), de se retrouver le seul homme entouré d’une multitude de femmes, qui plus est des féministes convaincues et revendicatrices. Le film est sans doute un peu long. Il comporte beaucoup de péripéties mais pas autant de délires visuels que ce qu’on pourrait espérer du réalisateur de Casanova.

Fellini place Snaporaz (Mastroianni son double, son complice, toujours impeccable) en situation d’infériorité et de défense vis-à-vis de femmes dont l’idéal serait visiblement une société matriarcale. Bien évidemment, le féminisme trouve sa justification dans l’attitude générale de Snaporaz. L’inconvénient, c’est qu’il met tous les hommes dans le même panier.

Le vrai regret concernant ce film est qu’il n’y est jamais question d’amour, uniquement de désir. Mon titre est donc à prendre au second degré.
Electron
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le 5 oct. 2013

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Electron

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