Les films d’université constituent finalement un pan assez confidentiel de la production cinématographique. Les œuvres dédiées à la période qui précède, c’est-à-dire l’adolescence, sont légion, et mettent un point d’honneur à s’arrêter juste à l’entrée dans le supérieur des personnages. Ensuite, on passe directement à la vie active, préférant aux aventures estudiantines les drames quotidiens et mortellement lassants des couples d’âge mûr. Il paraît donc un peu curieux, voire dommage, que la plus belle période de la vie d’un individu soit paradoxalement celle qui est la moins représentée au cinéma.


En outre, lorsque les cinéastes s’attèlent finalement à la tâche, l’approche la plus communément choisie consiste à épingler systématiquement les dérives des étudiants en sombrant dans la caricature la plus classique. C’est sûrement ce qui fait vendre, mais les films d’université qui passent le plus clair de leur temps à mettre en scène des étudiants en train de boire, vomir et baiser (dans l’ordre que l’on préfère) ont tendance à lasser. Ce n’est, j’en conviens, pas un angle d’attaque absurde, mais j’ai la faiblesse de croire que l’enseignement supérieur offre davantage. Rencontres, amitiés d’une vie, cours passionnants et professeurs passionnés en sont autant de volets qui sont bien trop souvent oubliés dans ce genre de film.


« The Paper Chase », un film de James Bridges sorti en 1973, se propose de redorer le blason de ces éléments systématiquement délaissés dans les grandes productions "mainstream" sur le sujet. En s’attachant aux pas de James Hart, étudiant brillant, l’œuvre donne découvrir la prestigieuse école de droit de l’illustre Université Harvard et son professeur vedette, Kingsfield.


Le parti pris du film est singulier et volontairement moins sexy que certaines œuvres récentes, qui comptent sur leur quota de boobs pour vendre des tickets. « The Paper Chase » s’ouvre de manière très sobre sur le grand amphithéâtre dans lequel se déroule le cours de loi du professeur Kingsfield. Les travées se remplissent peu à peu d’étudiants variés aux mines sérieuses, tandis que l’assemblée guette l’arrivée du professeur dans un silence quasi-religieux. Lorsque celui-ci fait enfin son apparition, le one-man show peut démarrer. Son ton est tranchant et sa voix est incisive. La matière qu’il enseigne – la législation des contrats – ne pourrait pas être moins attirante. Et pourtant, tous boivent ses paroles.


Le ton est donné et le film poursuivra sur cette voie : une prestation sérieuse, sans fioriture ou artifice tapageur. Point de soirées débridées où l’alcool coule à flot, point de bacchanales où tout le monde couche. Les préoccupations des étudiants sont plus académiques. Un petit nombre d’entre eux se réunit et décide de former un groupe d’étude pour travailler ensemble plus efficacement. Ils savent qu’il leur faudra travailler dur pour réussir leurs examens, obtenir de bonnes notes et de bons postes.


Avec ce pitch de départ très minimaliste et d’apparence peu attirante, Bridges réalise toutefois un film très intéressant, original et qui brasse un grand nombre de thèmes. On peut également y voir une dénonciation de l’élitisme de l’enseignement supérieur aux Etats-Unis, ou particulièrement à Harvard. Tous ces étudiants, brillants par ailleurs, doivent travailler comme des forcenés, et entrent dans une compétition supplémentaire pour briller aux examens. Le système vomit les faibles ; ceux qui n’obtiennent pas de bons résultats seront condamnés aux postes les moins reluisants, alors qu’ils sont entrés à Harvard ! Le film se fait aussi critique de ce système qui broie les plus fragiles : ce sujet sensible est toutefois traité avec suffisamment de distance et un refus clinique de diabolisation fort appréciable.


Le plus intéressant dans le film est toutefois le rôle du professeur.


C’est incontestablement l’une des pièces maîtresses du film d’université, ou, de manière plus générale, du film situé dans un milieu scolaire. Ce genre de rôle a donné leur heure de gloire à des Robin Williams, J.K. Simmons, etc… Ici, Kingsfield est la star du film. Il n’existe pratiquement aucune scène où son nom n’est pas mentionné. Son cours ne constitue qu’une partie du cursus des étudiants en droit, mais est le seul qui apparaisse à l’écran. Ses élèves le honnissent autant qu’ils le vénèrent et sont fascinés par le personnage. Hart, en particulier, ne semble pouvoir exister que via Kingsfield : il se plonge dans la lecture de ses notes d’étudiant, se fait un devoir de répondre de façon pertinente aux questions posées par le professeur, tente de susciter son intérêt et entame même une relation amoureuse avec sa fille ! Ce besoin de reconnaissance, d’un père de substitution en quelque sorte, est assez bien représenté à l’écran. Hart explique par exemple qu’il sent l’intérêt du professeur pour ses élèves, dont il surveille et évalue les progrès régulièrement (même si ce dernier point n’est jamais vérifié par le film, volontairement très évasif).


Contrairement à certains professeurs caricaturaux, dont l’exemple le plus récent est le triste sire campé par J.K. Simmons dans « Whiplash », Kingsfield n’est pas un sadique psychopathe. Son ton est sévère et sa pédagogie est impitoyable, mais il ne prend pas un plaisir douteux à rabaisser ses étudiants. Au contraires, ses méthodes ont pour but de motiver ses élèves à se dépasser, à ne jamais se contenter du "juste assez" et de viser l’excellence.


Dans une certaine mesure, cela me rappelle un peu mes années de classes préparatoires. Mon professeur de mathématiques avait pour habitude d’interroger, un peu au hasard, quelques-uns d’entre nous sur un point de cours ou sur une démonstration. Je retrouve alors très bien la taxonomie des étudiants décrite par Hart dans le film : un tiers de volontaires capables de répondre brillamment, un tiers d’anxieux loin d’être sûrs de pouvoir répondre, et un tiers de désabusés ayant abandonné tout espoir.
Pour être parfaitement honnête, cela dit, cette comparaison ne rend pas vraiment justice à mon prof de maths, qui était véritablement un type adorable, proche de ses élèves et soucieux de leur réussite. Très loin de ce fameux professeur Kingsfield, qui reste, malgré tout, un bonhomme très antipathique.

Aramis
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le 31 août 2016

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