Pas génial tout ça. De tous les westerns d'Anthony Mann, c'est de loin le moins fameux que j'ai vu. Par famille thématique, on peut le rapprocher de La porte du diable, mais en tout moins bien, tant dans la réalisation (assez banale par rapport à ce qu'il a fait) que dans le script (mal géré, malgré sa richesse implicite). On leur trouve en commun une réflexion sur la civilisation et l'identité, amorcée par le départ forcé d'un trappeur, un peu sauvage et simplet, et de ses compagnons, repoussés par les indiens vers le camp des Tuniques bleues qui tentent de chasser ces derniers hors de leur territoire. Ils auront ainsi à choisir entre s'intégrer ou demeurer des marginaux, apatrides.


Le premier gros soucis, c'est le ton mi-léger, mi-dramatique, comme si le film ne savait pas sur quel pied danser. Le générique est chanté, ça annonce quelque chose d'un peu daté (heureusement ça ne le refait que deux fois, et puis les paroles sont pas mal), une approche comique accentuée par l'interprétation du personnage du trappeur (Victor Mature) qui va dans le même sens, en cumulant avec énergie les grimaces et les comportements grossiers pour mimer la brute sans éducation (et qu'est-ce qu'il n'est pas crédible en pisteur, balourd comme pas deux). Au bout de vingt minutes, ça devient plus sérieux, moins guilleret, et assez rapidement les enjeux sont posés. Mais l'autre problème c'est la gestion du script qui aurait pu donner quelque chose de bon, mais qui se limite trop à deux tensions : d'un côté le capitaine qui veut suivre les ordres et rester au campement, non pas par lâcheté mais pour protéger ses hommes peu entraînés au combat, s'opposant ainsi à son colonel qui veut gagner la fierté de sa femme en chassant les indiens ; d'autre part le trappeur qui est attiré par deux marques de civilisation, d'abord une fascination innocente pour le costume de soldat, puis la femme du colonel (qui déteste ce dernier, mais elle est chrétienne alors ça coince un peu), sans penser aux conséquences. Il y a aussi les compagnons du trappeur, un autre du même acabit et un indien, qui jouent cette tension qui habite le trappeur, mais sont un peu sous-développés, surtout ce dernier. Ne parlons pas des autochtones qui sont utilisés à peine comme menace de fond et amorce de l'histoire (par contre ils ne sont pas trop caricaturaux, puisqu'ils sont seulement perçus comme gardiens de leurs terres comme dans La porte du diable).


Le dernier gros problème, c'est qu'on n'est jamais vraiment impliqué par les personnages, leurs motivations n'étant pas très bien esquissées. A la limite on peut comprendre le comportement des deux soldats, qui montrent deux visages opposés de l'armée et de la civilisation (humanité, sécurité, et éducation versus changement par la force, témérité, et ordre), et dont j'aime bien la relation respectueuse malgré leurs différends (et donc pas de véritable manichéisme), mais qu'est-ce qui attire cette femme chez ce trappeur (même si une petite scène vers la fin est intéressante, dans le sens où on la montre souriante quand le trappeur rejette finalement la tunique, la trouvant sale et nauséabonde, comme si elle lisait en lui l'authenticité que son mari n'a pas ou plus), et pourquoi ce dernier s'intéresse tant à ces soldats (rien n'indique une quelconque amitié entre-eux, sauf à la limite le capitaine : un individualisme plus marqué aurait été plus crédible ; mon autre hypothèse est son innocence qui le mène à une sorte d'humanité, mais on peut aller loin avec ça) ? Bref, ce qui ne fonctionne pas très bien, c'est le passage de la sauvagerie du trappeur à la civilisation, qui est tout de même le sujet central du film (dommage car le lien entre laisser mourir le colonel-tyran et la société est vraiment intéressant avec toutes les conséquences que cela implique). Ce que ne vient pas sauver un happy-end hollywoodien, qui vient atténuer la perte paradoxale de l'intégration. Même la réalisation ou la mise en scène qui peuvent compenser une histoire un peu légère, bien que tout à fait correcte, ne relèvent pas trop le niveau. Elle compte tout de même de beaux petits travellings ascendants sur le fort, des plans dans la nature ressemblant à ceux de Je suis un aventurier mettant bien en valeur la saison automnale, et enfin une bataille finale filmée dans la poussière qui fait son petit effet. Je mets la moyenne surtout pour le script, assez riche si on vient le chercher dans ses nuances, mais dont le potentiel se retrouve miné par un traitement inégal et son personnage principal.


Bref, ce film nous présente un thème intéressant, celui du passage de la sauvagerie à la civilisation, mais exploité de manière inégale et le cul entre comédie et drame, que ne vient pas relever une réalisation assez quelconque et une interprétation faiblarde. À recommander avant tout aux inconditionnels de A. Mann.

Arnaud_Mercadie
6
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le 28 avr. 2017

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Dun

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