La Campagne de Cicéron est le troisième et dernier long-métrage de Jacques Davila avant sa mort. Le film est sorti en France en mars 1990. Le réalisateur retrouve ici deux acteurs avec lesquels il avait collaboré dans son précédent film, Qui trop embrasse : Michel Gautier et Tonie Marshall. Le résultat est une comédie humaine à la française, davantage portée par ses personnages et ses lieux que par son intrigue.

C'est dans la maison habitée par Tonie Marshall dans le film que Jacques Davila commença l'écriture de son film. Ici, il n'y a pas de héros, seulement un point de vue, le personnage de Christian, qui n'est jamais totalement seul. Le spectateur est placé face à un cinéma de la scène, face à des tableaux quasiment interchangeables dans lesquels Christian est un révélateur. Jacques Davila observe le monde, il laisse vivre ses personnages et c'est l'inattendu dans leur réaction qui devient intéressant. Les dialogues, bien que très quotidiens et très bien écrits ont une profonde origine littéraire, les phrases sont extrêmement construites. Citons par exemple Christian, qui dira « Je ne suis complice ni de rien ni de personne. Christian, le tolérant, le déguisé, le complice, celui qui s'abrite de lieu en lieu, d'endroits en endroits ; celui qui prétend au bien et commet le mal, la destruction ; celui qui s'avance sous le soleil et qui se repaît du malheur des autres ».

Les scènes prennent le temps de se déployer, Jacques Davila ne concevait pas l'écriture autrement. Les scènes commencent, se développent et s'achèvent, et ce parfois en un seul plan, avec une utilisation du hors-champ qui révèle au spectateur une situation après coup. La mise en scène est discrète et efficace. L'humour en découle, parfois burlesque avec les chutes répétées des personnages, notamment Hippolyte qui est le plus maladroit, il tombe, heurte, fait tomber, vacille. Davila se plait à développer l'art du geste, il privilégie davantage les mouvements des personnages à l'intérieur du cadre que les mouvements de caméras. Ses plans sont un peu larges et longs, les gros plans sont absents, pour que les personnages soient entiers. Le montage n'est jamais trop serré.

Le film fut bien accueilli par la critique à sa sortie, de nombreuses personnes trouvèrent quelque chose de Rohmer dans le film de Jacques Davila. Eric Rohmer, quant à lui, fut enthousiasmé par La Campagne de Cicéron, il rédigea une lettre à destination de Davila, elle fut publiée dans les Cahiers du cinéma en mars 1990. « Vous, vous apportez la rigueur, l'invention, l'intelligence, la poésie [...], la vérité, la beauté des mots, des gestes et, ce qui n'est pas le moindre mérite, après tant d'années lugubres, enfin, l'humour. Votre film montre que, non seulement le cinéma n'est pas « fini », mais que le monde qu'il scrute et fouille n'a pas fini lui aussi de nous révéler ses splendeurs quotidiennes. C'est un de ces films qui nous apprend à voir et nous donne envie de dire comme Rimbaud : « Maintenant, je sais saluer la beauté ». »

Enfin, il est impossible d'évoquer ce film sans parler de sa restauration effectuée par la Cinémathèque de Toulouse. Bien que datant de 1990, ce long métrage était jusqu'à présent disparu et fut l'une des dernières productions des Ateliers Cinématographiques Sirventès (ACS), créés à la faveur du grand mouvement de décentralisation culturelle des années 1980. Les deux sociétés de production et de distribution du film, ACS et Aramis firent faillite au début des années 90, les copies d'exploitation en salle disparurent. La Cinémathèque de Toulouse, qui a par la suite récupéré les éléments matériels du film ainsi que les droits d'exploitation, a confié la restauration au laboratoire L'Immagine Ritrovata de Bologne. Il s'agit d'une restauration numérique. Un kinescopage 35mm a permis la diffusion du film en salle.
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le 19 avr. 2012

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