La Bonne Épouse par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Nous voici projetés en 1967 dans une grande demeure de Boersch en Alsace servant d'institution ménagère pour jeunes filles. L'établissement est géré de façon bizarre par Robert Van der Beck, directeur et trésorier. Il est assisté de son épouse Paulette, l'enseignante, Gilberte, la sœur de Robert qui s'occupe particulièrement de la cuisine, et de Sœur Marie-Thérèse, une religieuse ancienne résistante très stricte et qui bien entendu s'occupe de la discipline des adolescentes pensionnaires.
Le but de cet établissement dans lequel trône le portrait du Général de Gaulle est de former de bonnes ménagères dévouées à leur mari "harassé" par le travail sans oublier leur mission de repeupler la France en ayant "la joie" d'élever les bambins qui naîtront de ces "couples modèles" et conformes à la moralité et aux traditions de cette époque.
Quelques aventures parfois drôles, tendres et même dramatiques vont émailler la vie interne de l'endroit au sein de ce petit monde aseptisé. N'oubliez pas que nous sommes en 1967 et mai 1968 approche, les mentalités ont tendance à changer...


Entrons dans cette demeure et observons. Tout d'abord il est aisé de constater que l'éducation dispensée aux jeunes futures femmes au foyer, très prisée par "Tante Yvonne", est tout simplement destinée à la soumission de la femme qui doit fidélité à son mari sensé travailler et ramener l'argent du ménage, il est le "chef de famille". Son épouse? Elle est tout simplement sa subordonnée, celle qui veille sur son confort, sur le ménage quotidien et bien entendu sur les enfants que le couple ne manquera pas d'avoir "ensemble".
Sournoisement le changement se profile, la société glisse petit à petit comme la lave d'un volcan vers la libération des mœurs et cette vague n'épargne pas cette institution d'Alsace. Des événements inattendus vont tout chambouler dans ce lieu qui n'a pour modèle que l'instruction bourgeoise et un accident fortuit est l'occasion de découvrir des "indélicatesses" qui vont mener l'établissement à sa ruine. Celle-ci deviendra en fait un remède pour mettre en exergue des sentiments refoulés par toutes les jeunes filles. Elles ressentent comme un fourmillement de révolte salutaire les menant vers de nouveaux horizons.
Nous sommes en mai 68. Paris se soulève d'un coup. Nos alsaciennes ne manquent pas de prendre parti en faveur de cette lutte qui s'engage lors d'un voyage à Paris organisé par la télévision afin de récompenser cette institution pour son mode d'éducation formant des "femmes modèles", tradition chère au gouvernement de l'époque.


J'avoue que j'ai une certaine sympathie pour Martin Provost car au travers de ses films il nous prend à témoin sur la condition féminine. Je me souviens notamment de l'inoubliable "Séraphine", une œuvre magistrale nous faisant découvrir une artiste-peintre énigmatique et jusqu'alors inconnue.
Dans "La bonne Epouse" il aborde une situation intéressante sur la condition féminine de la fin des années 60. Même si l'intention est excellente je dois dire que j'attendais un peu mieux. Le film est à mon avis assez inégal avec un premier acte qui reconstitue fort bien et de façon distrayante la vie interne de cette institution. Il nous démontre même que certains moralisateurs n'étaient pas irréprochables.
Bref ce printemps fait éclore les passions amoureuses. Paulette oublie très vite Pierre son mari pour tomber dans les bras de André, une ancienne connaissance, devenu banquier. Les yeux de Gilberte, fan absolue de Adamo, pétillent et ceux de Sœur Marie-Thérèse se dérident un peu.
Du côté des pensionnaires la révolte gronde à coups d'impertinences et de batailles de polochons rappelant étrangement le fameux film "Zéro de conduite" de Jean Vigo. Tout cela est d'autant plus distrayant que le réalisateur distille des émissions télévisées d'époque notamment "Le Magasine Féminin", émission emblématique pour les femmes au foyer ou Menie Grégoire qui à la radio encourage les jeunes fille à explorer leur corps, contraste saisissant entre deux émissions marquant la frontière entre deux époques différentes dans bien des domaines.
Puis vient le second et dernier acte relatant une virée à Paris pour représenter l'institution.
Mai 68 a sonné, les émeutes et les grèves commencent à bloquer la capitale. A partir de ce moment le film qui présentait un certain charme retombe un peu comme un gâteau soufflé qui aurait dû être savoureux si la cuisson avait été réussie. Malheureusement, il est raté. On croit ressentir que Martin Provost n'arrive franchement pas à nous offrir un dessert de choix, ce qui gâche un peu ce sympathique festin et nous fait rester sur un sentiment de frustration.
Cette réalisation tient beaucoup sur un trio d'actrices absolument excellentes. Juliette Binoche, Yolande Moreau et Noémie Lvovski sont impayables chacune dans leur genre. Si l'on rajoute Fançois Berléand, Edouard Baer et toutes ces jeunes filles qui jouent très bien le jeu, cela nous réconcilie un peu avec le dessert mais à mon avis le menu est un peu inégal et c'est dommageable.
Néanmoins ce film a le mérite de décrire un moment de notre histoire récente qui a fait bouger en peu de temps beaucoup de choses dans notre vie actuelle et qu'il nous faut sauvegarder.


Box-Office France: 632 661 entrées


Ma note: 7/10

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le 24 janv. 2021

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