En 1979 les troupes russes de Léonid Brejnev envahissent l'Afghanistan pour prendre le contrôle du pays. Dans le collimateur : déstabiliser l'état voisin du Pakistan, soutenu par les États-Unis, bien que ces derniers n'ai jamais officiellement participé au conflit. 1987 le conflit est enlisé, les russes sont sur la pente de la défaite, des centaines de morts se comptent chaque jour mais globalement l'occidental moyen n'en a rien à foutre de cette guerre bien loin de ses préoccupations (L'Histoire s'est depuis chargé de renvoyer un boomerang que l'Occident n'est pas prêt d'oublier). Puisque le chaland moyen ne se sent pas concerné, Hollywood non plus. Pourtant c'est à cette période que sort "La Bête de Guerre" rare film de fiction sur ce conflit.

Film de guerre américain ou aucun personnage n'est américain, le métrage du tout jeune Kevin Reynolds (le réalisateur dont la carrière a explosé avec celle de Kevin Kostner sur "Waterwolrd") nous raconte l'histoire d'un char russe perdu du mauvais côté de la ligne de front en proie non seulement aux assauts des moudjahidines mais aussi à des tensions au sein de l'équipage. Le film suit en parallèle un jeune tankiste idéaliste et un jeune afghan propulsé chef de guerre par la force des chose.

L'astuce narrative principale consiste à se concentrer sur un seul tank au prise avec une poignée d'adversaires. Dans cette relecture mécanique de David contre Goliath tout l'intérêt vient de la bonne exploitation de cet espace minuscule, dernier refuge d'un contingent de soldats russes. Entre les assauts extérieurs, les divergences internes, les soucis mécaniques ou logistique la tension ne cesse de monter dans le blindé, poussant chaque personnage jusqu'à ses limites. L'aspect claustrophobique de la vie de tankiste offre un contraste formidable avec l'immense espace autour du monstre de métal. Des étendues désertiques, inondées d'une lumière aveuglante. Des paysages vastes et magnifiques. La caméra de Reynolds arrive a exploité parfaitement les forces et les faiblesses de chaque décor. Entre suspens et contemplation le film distille une ambiance unique et maîtrisée tout le long d'un récit parfaitement rythmé.

Avec un point de vue américain sur les événements on pouvait craindre une oeuvre de propagande, à l'idéologie gerbante comme l'est "Rambo III" sorti quelques mois plus tôt.
Hors il n'en est rien.
Bien sûr les gentils restent les résistants Moudjahidines, l'invasion russe y est dénoncé sans ambiguïté et les subtilités claniques qui conduiront à l'ascension des Talibans 10 ans plus tard sont absentes. D'une part il est un peu facile (et donc un peu idiot) d'accuser le film de ne pas prévoir un futur que même les plus brillants politologues n'ont pas vu venir. D'autre part l'invasion russe était tout de même une agression caractérisée sur un pays alors souverain. Donc nous montrer les Moudjahidines avant tout comme des résistants reste un portrait suffisamment crédible et juste. D'ailleurs il est bon de se rappeler que les Moudjahidines et les Talibans sont deux choses différentes et le leader afghan du film évoque clairement plus le commandant Massoud que le fanatique et sanguinaire mollah Omar. Certains pourront aussi pouffer devant le portrait des bons résistants alors même que les viet-congs, dans une situation similaire à celle des Moudjahidines, étaient les ennemis des USA 20 ans auparavant. Mais ce serais faire preuve d'un certain cynisme gratuit envers un film ayant justement retenu les leçons du conflit vietnamien puisque chaque camps est montré de façon non unilatérale.

Des deux côtés du canon on retrouve des personnages bons, d'autre plus douteux (comme un chef de rébellion aux motivations finalement peu nobles) et d'autres franchement salauds. Les traumas des belligérants restent les principaux moteurs psychologiques, bien avant les enjeux politiques. On assiste aux massacres de civils, aux méthodes de guérilla improvisée, aux élaboration de pièges retors. Le film montre sans détour toute la violence d'une guerre qui était loin des conventions, surtout celle de Genève. Même si le traitement n'est pas toujours d'une extrême finesse (en effet les personnages restent principalement sur les mêmes rails psychologiques du début à la fin, même si chacun dispose de sa voie bien spécifique), on évite la peinture trop manichéenne. Les conflits humains se font et se défont au gré des décisions parfois douteuses, souvent dramatiques, prise dans la bataille. Entre révolte et le respect de ses convictions où se trouve la limite de chacun ?

Avec son réalisateur inconnu, son casting de débutants, son action se déroulant dans un pays que personne à l'époque ne savait trouver sur une mappemonde, avec sa faible distribution en salle, "La Bête de Guerre" est un film qui ne pouvait qu'être ignoré à l'époque de sa sortie. Pourtant, loin de l'oeuvre de propagande idiote redoutée, "La Bête de Guerre" est un film de guerre tendu et atypique, beau et dur à la fois, une oeuvre aussi spectaculaire qu'amer. Même en l'analysant à la lumière du destin actuel de l'Afghanistan "La Bête de Guerre" conserve toute sa force, sa charge émotionnelle et sa pertinence. Un film injustement méconnu qui mérite largement d'être (re)découvert.
Vnr-Herzog
7
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Créée

le 6 sept. 2012

Modifiée

le 6 sept. 2012

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