Il y a longtemps à l'époque du noir et blanc

La Beauté du Diable ou une énième version du mythe de Faust, savant avide de savoir qui vendit son âme au Diable pour accéder à la connaissance suprême par René Clair.

Le Faust en question est ici interprété par le regretté Gérard Philippe emporté très tôt par un cancer.

Le Diable, lui, ironiquement n'apparaît pas dans ce film malgré son titre. La seule présence démoniaque que nous voyons est le célèbre démon Méphistophélès interprété par Michel Simon.

La première chose qui se démarque par rapport à de nombreuses versions est que nous n'avons ni voyage divin, ni malédictions morbides.

En effet, La Beauté du Diable se veut à la fois réaliste et proche de l'esprit d'imagination.

Ainsi, l'histoire se déroule dans un Royaume imaginaire à une époque indéterminée où l'on parle affaires et science ainsi que du monde du pouvoir et la superficialité qui va avec de manière sérieuse.

En effet, on peut avoir l'impression de faire face à une oeuvre reflétant la peur de la bombe nucléaire et ses conséquences à travers un ciel empli de nuages de cendres et de villes en ruines au silence morbide sans âme qui vive durant une scène glaciale rappelant les dangers du "progrès" et ses possibles conséquences macabres.

Cependant, on y retrouve des décors tels des roulottes de forains, grandes demeures bourgeoises ou encore des châteaux plus théâtraux que cinématographiques proches du cinéma de Jean Cocteau (plus particulièrement de La Belle et la Bête) ainsi que des costumes ressemblant aux vêtements des scientifiques, Princes, Princesses ou encore Paysans de contes.

Le mélange fonctionne bien grâce à un casting investi en particulier ses deux interprètes principaux avec un Faust (re)découvrant sa jeunesse avec une naïveté infantile touchante et un Méphistophélès (non pas au physique "diaboliquement" cliché mais à celui de vieillard respectable et inoffensif pour bien cacher son jeu sadique) à la fois comique et menaçant qu'on adore détester.

En particulier durant cette scène

https://www.youtube.com/watch?v=gDVJuSKOznA

En ce qui concerne le reste du casting, celui-ci s'en sort bien: Nicole Besnard est une Marguerite touchante, Simone Valère est une parfaite Princesse snob et superficielle. Néanmoins, il y a quelques hics comme Carlo Ninchi en Prince bien peu investi dans son rôle faisant la moue pendant pratiquement tout le film. Mais en dehors de ça, les acteurs restent très bons que ce soit les rôles principaux ou les rôles secondaires.

Parlons maintenant de la musique. Il est vraiment dommage qu'il n'existe pas de BO officielle du film. En effet, celle-ci, composée par Roman Vlad, possède un thème principal marquant et alterne passages musicaux intra-diégétiques...

...comme une mise en abime de l'univers du film à travers un ballet de diablotins...

...et passages musicaux extra-diégétiques aux diverses émotions.

Espérons qu'un jour, cette musique égarée soit retrouvée afin d'avoir la reconnaissance qu'elle mérite.

Néanmoins, malgré toutes ces qualités, le film n'est pas sans défauts. En dehors de Carlo Ninchi en sous-jeu constant, La Beauté du Diable est maladroit en ce qui concerne le caractère de son personnage principal: Faust.

En effet, dans les diverses versions du mythe, Faust est un homme prétentieux voulant le savoir absolu et le pouvoir pour sa gloire et son profit personnel et étant mené à sa perte/damnation par son égoïsme enseignant ainsi la morale que la soif de savoir/pouvoir mène à l'auto-destruction.

Dans La Beauté du Diable, le Faust de cette version est beaucoup trop gentil; ce n'est pas un savant prétentieux voulant toujours en savoir plus par vanité dont le rajeunissement était juste un gain de temps pour découvrir le plus de savoir possible mais un idéaliste voulant faire de nombreuses découvertes bénéfiques pour l'accomplissement du bien commun et savourant sa nouvelle jeunesse comme un adolescent redécouvrant son corps en pleine puberté.

Loin de l'homme entreprenant prenant des initiatives (sachant ce qu'il faut dire et faire dans la plupart des situations, se montrant entreprenant avec Marguerite...) que l'on nous a souvent présenté dans les diverses versions du mythe, Gérard Philippe interprète un Faust sans véritable personnalité, passif et subissant les tristes évènements lui arrivant au cours de l'histoire.

...au point que lorsqu'il décide de vendre son âme à Méphistophélès par désespoir, on a non pas du mépris mais de la peine.

Autre chose à déplorer, le fait que la Marguerite de cette version demeure trop au second plan alors que son rôle était plus important dans d'autres versions notamment dans l'opéra Faust de Gounod où elle avait un frère et un soupirant autre que Faust.

Dans La Beauté du Diable, elle n'existe qu'en tant que bohémienne généreuse capable de lire l'avenir dans les cartes, la personnalité des gens dans les lignes de leurs mains, pouvant avoir des prémonitions involontaires et, surtout, pour refléter l'avenir heureux que Faust pourrait avoir à travers un amour sincère s'il n'était pas corrompu par le milieu des savants et l'oisiveté de la cour du Prince.

Mais ceci n'est pas le pire. En effet, ce n'est pas pour rien que l'une des plus célèbres adaptations en opéra du mythe de Faust par Berlioz est baptisé La Damnation de Faust. Ce titre existe pour souligner l'issue fatale infernale dans laquelle sera plongé Faust une fois son âme vendue à Méphistophélès se terminant ainsi sur une fin tragique inévitable comme dans la plupart des versions du mythe.

Et bien, dans La Beauté du Diable, on n'a rien de tout ça. En effet, aucune des deux fins tragiques proposées par René Clair n'ont été conservées. Alors que celui-ci voulait achever le film sur Faust et Marguerite envoyés au bûcher (cette dernière ayant vendu au passage son âme à Méphistophélès pour rejoindre Faust en Enfer) et un Méphistophélès triomphant; ou un Méphistophélès puni par Lucifer pour avoir imprudemment révélé le pacte fatal sans que le spectateur ne sache ce que devienne les amants, le réalisateur a cédé à une fin convenue imposée par la production.

Dans cette dernière, Faust est libéré du pacte morbide de Méphistophélès et s'en va vivre son amour avec Marguerite. Hors, cette fin va totalement à l'encontre de l'issue tragique du mythe de base connu justement pour finir sur une fin macabre avant tout.

Comme quoi, des producteurs superficiels réduisant à néant des oeuvres d'artistes impliqués existaient bien avant les années 70.

Il est d'ailleurs triste que la chose n'ait pas changé et se soit même aggravée notamment à travers un scandale récent que je n'évoquerai pas ici car ce n'est pas le lieu pour le faire.

Ainsi, La Beauté du Diable n'est pas un film parfait mais il est très pratique en tant que "premier contact" pour des personnes ne connaissant pas ou voulant découvrir le mythe de Faust. De plus, son esthétisme poétique et ses acteurs impliqués donnent envie de voir et de revoir le film avec le plus grand des plaisirs.

BlackBoomerang
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le 16 oct. 2022

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