Werner Herzog filme avec un regard à la fois sensible et réaliste une fable amèrement drôle habitée par une galerie de personnages marginaux et bizarres.
Herzog est quelqu'un qui ose. Ici, non seulement il choisit comme protagoniste un amateur mais en plus il en choisit un qui a visiblement quelques limites mentales (pas handicapés moteur non plus, mais avec un certain retard cognitif sans aucun doute) et en fait un parfait interprète, réaliste à souhaits - nous rappelant même parfois le documentaire, surtout quand caméra sur l'épaule il suit ses mouvements inattendus. Bruno démontre donc quelques limites: dupé et moqué par d'aucuns, il n'en est pas moins vu par Herzog à travers un regard attendrissant, aidé par la bande-son touchante (le xylophone servant de subtile évocation), mais jamais pathétique malgré les nombreux déboires qu'il affronte. Il faut dire à sa défense que ceux qui l'entourent traînent tous à des degrés différents leur tare également: prostituée au gros nez, paranoïaque aux grandes oreilles, maquereau efféminé, garagiste hâbleur mais peu actif, etc... l'ensemble formant une galerie de personnages truculents, grotesques, pathétiques, drôles, décalés, souvent à la limite de la folie.
La folie, thème clé de l’œuvre de Herzog, c'est un peu ce que Bruno et sa clique veulent fuir, folie d'une vie trop rude, violente et impitoyable. Or, en quittant ce monde-là, il trouve certes une liberté nouvelle d'abord mais il prend peu à peu conscience de la fatalité qui guette (ici, on te baise mais avec le sourire, ce qui est encore plus pernicieux, lâche-t-il à quelques mots près), qu'il ne pourra échapper à sa condition - à lui-même finalement – et que l'histoire ne sera qu'un perpétuel recommencement (narration en cercle).
Conclusion pessimiste d'un Herzog démontant le rêve américain, avec sa foule de détails loufoques et étonnants sur lesquels il pose une palette chromatique très élaborée, avec un sens du cadre souvent bien trouvé.