Film génial et inclassable suivant le non-chemin de la Liberté qu'emprunte Joao Pedro Rodrigues, L'ornithologue, tout en gardant une construction classique, a le courage et l'audace de chercher à renouveler le langage cinématographique à partir de l'hagiographie revisitée de St Antoine de Padoue avec la jubilation d'une transe blasphématoire rimbaldienne.


Après une introduction qui ne laisse rien présager du monde halluciné attendant le personnage (si ce n'est la typographie du titre), le jour laisse la place à la nuit, et le récit quitte la rive du réel et de l'ouvert pour plonger dans une oppressante forêt, foyer des visions les plus insoupçonnées. Comme dans le conte, dont le film puise clairement la structure, l'eau, dans laquelle plongera malgré lui le personnage, a la fonction de limite, de frontière molle qui une fois franchie, inaugure un autre espace / temps. Ou plutôt, dans ce cas, le dissout, l'annule, inscrivant le récit dans une atemporalité et une aspacialité brouillant tout repère.


Surgit alors le chaos antédiluvien. La forêt se peuple de personnages, d'animaux et d'ombres inquiétants, fruits des peurs, perversions et fantasmes que l'inconscient couve. L'écriture poétique du cinéaste déploie ici toute son imagination féconde, mêlant habilement les plaisirs interdits des sens aux significations des symboles foisonnants. Emporté dans une mise en scène parfaitement soignée qui progressivement suivra les itinéraires insondables du rêve, bercé et surtout troublé par l'excellente ambiance sonore, on en est comme étourdi, pris dans une ivresse délicieuse et sans nom. Le message est suggéré plus qu'il n'est dit, tout demeure clair; en aucun cas le film ne sombre dans l’hermétisme d'un certain Tarkovsky dont l'influence est toutefois sensible. Voilà l'une des prouesses du réalisateur.


Cependant, si l'on avait compris dès le début de quoi il s'agissait, pourquoi la morale qui illustre la fin du film («il y a tous les goûts dans la nature» ou «chacun choisit son chemin») est si grossièrement niaise? De même, pourquoi s'affranchir du pouvoir de suggestion qui a si subtilement excité nos sens pour nous montrer cette scène absurde et crue du bord de plage digne du pâlot L'Inconnu du lac? Si le ton libre est jouissif, en abuser pour faire un semblant de prosélytisme nous semble une erreur puisque l'originalité du projet plastique s'appauvrit en se rapprochant d'un caricatural film à thèses. Et le spectateur croyant se trouver en face d'un objet purement esthétique sexuellement indifférencié est trompé lorsqu'il s'aperçoit que derrière cela, on essaie d'introduire une idée voire une théorie dont il est las d'entendre parler.

Marlon_B
8
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le 2 déc. 2016

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Marlon_B

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