Certes, la qualité d’un film ne peut se réduire qu’à la seule efficacité de son scénario, mais il y a des fois où il faut quand-même avouer que ça aide beaucoup.
Et s’il est vrai que cet Origine du mal est loin de démériter dans chacun de ses aspects – et on en reparlera plus loin – il n’empêche que c’est vraiment sur la manière de ficeler son intrigue que ce film tire pleinement son épingle du jeu.


A bien le considérer en son ensemble : la vraie grande force de cet Origine du mal tient au fait qu’il parvient à poser ses personnages rapidement et habilement, sachant notamment très vite susciter l’intérêt et le mystère. Le reste du temps est ensuite utilisé pour rajouter progressivement des strates mais aussi pour multiplier les révélations qui renversent sans cesse notre approche de ce qui nous est raconté.
…Et il en va de même pour ce qui relève de notre jugement.


Or le jugement du spectateur n’est clairement pas anodin dans un film qui s’appelle l’Origine du mal.
Là encore, la plume a su se montrer des plus ciselées. Avec un titre pareil, forcément la question de la morale est régulièrement mobilisée. Et en jouant justement de ce jeu habile (et riche l’air de rien) de révélations successives, l’œuvre nous amène clairement à réévaluer sans cesse notre jugement, jusqu’à le suspendre.
Pour ma part je trouve que c’est même là que se trouve la plus grande finesse de ce film : nous amener à voir des maux pour des biens ; des manigances ignominieuses comme de potentielles rectifications, des crimes pour des réparations…
…Au point qu’au final on finisse par acter l’absurdité de tout jugement, et la question de l’origine de tout ça comme fondamentale et absconse en même temps…


Dès lors, pourquoi – au moment où il a fallu nourrir l’agrégateur de notes de SensCritique – n’ai-je décidé de n’attribuer qu’un – certes honorable mais pas exceptionnel – 7/10 ?
Mises-en-scène fade ? Interprétation en dessous ? Technique défaillante ? Rien de tout cela pourtant.
Comme dit plus haut, dans chacun de ces domaines, l’Origine du mal est loin de démériter. Il y a d’ailleurs même un de ces domaines où ce film est irréprochable : c’est son interprétation.
En même temps, avec une pareille distribution, toutes les chances avaient été mises du bon côté. Laure Calamy, Suzanne Clément (méconnaissable), Jacques Weber… J’avoue même avoir été très agréablement surpris par Dora Tillier.
Sur ce point c’est un véritable sans faute et une belle démonstration de savoir-faire…


Idem, niveau mise-en-scène : on ne pourra pas reprocher à Sébastien Marnier – dont c’est le premier film que je découvre – de témoigner d’une réelle maîtrise, voire d’une certaine audace.
Ellipses, splits-screens, jeux subtils d’associations visuelles ou de connotations symboliques, Sébastien Marnier livre une réalisation habile qui parvient à nous gratifier de temps en temps de belles petites idées…


Malgré tout, force m’est de constater que les premières limites que j’ai rencontrées avec ce film, je les ai d’abord trouvées ici ; dans cette mise-en-scène…
…Et même si je n’entends pas revenir sur les qualités que j’évoquais plus haut, le fait est que, néanmoins, j’ai trouvé que ça ne savait pas se porter à la hauteur de ce qui avait été écrit. En fait, c’était comme si Sébastien Marnier n’avait pas su transposer son idée jusque dans la forme de son film.
Car la force de cet Origine du mal est qu’il sait laisser infuser sans trop en dire. Il laisse ce temps au spectateur pour participer lui-même à l’exploration de cette intrigue. Malheureusement, ce temps il ne le laisse pas suffisamment. Ou plutôt devrais-je dire qu’il ne sait pas varier ses temps
…Car si cet Origine du mal est très bien ficelé pour ne laisser aucun temps et ne jamais perdre de sa dynamique, il n’empêche qu’il oublie parfois de laisser des moments pour que puissent pleinement parler les images et les sons.


Ce que je trouve dommage, c’est que ce film manque d’espaces, de visages et de silences.
On passe d’usines en île et villa luxueuses mais sans parvenir à imposer ces lieux, à les faire sentir, voire à nous écraser avec…
…Et il en va au fond de même avec les personnages. Car si ces derniers s’expriment pleinement par leurs paroles, leurs gestes et leurs actions, je trouve dommage qu’on n’ait pas su prendre la peine de saisir davantage les postures, les tensions du visage et les regards…
Manifestement ça n’a pas été une préoccupation de Sébastien Marnier ; du moins ça n’a pas été une préoccupation centrale.


A un cinéma pleinement total, il a préféré opter pour un cinéma plus conventionnel et accessible. En témoigne entre autres cette photographie certes propre mais qui ne relève selon moi d’aucun choix. S’abandonnant globalement au paresseux duo orange et bleu, on notera cependant une tentative d’opposer une villa trop lumineuse le jour et trop obscure la nuit. Seulement tout l’effet est en partie perdu par une lumière plutôt lisse qui affadie tous les détails ; comme si une partie du travail semblait en « réglages par défaut ».
En témoignerait peut-être aussi ce choix scénaristique de conclusion...


(Faire finalement tomber Nathalie.)


...Un choix scénaristique qui permet certes d'instaurer un dernier coup de massue tout en refermant bien tous ses arcs narratifs, mais en privilégiant peut-être un aboutissement plus classique (et peut-être davantage moraliste) que ne l'aurait été une fin davantage ambiguë.


(Finir sur une Nathalie épargnée et préservée au sein de sa nouvelle famille – mais tout en laissant déjà apparaître des signes de dysfonctionnements et tensions futures – pour ma part ça aurait été bien plus percutant.)


Alors certes, c’est un choix – et il est pleinement défendable – mais il n’empêche que, me concernant ,ce choix a fait perdre à cet Origine du mal de sa capacité d’impact.


…Et au fond c’est ça que je trouve dommage.
Il y avait dans cet Origine du mal un talent et un savoir-faire évidents. Et même si – et je me permets d’ailleurs d’insister à nouveau sur ce point au moment de conclure – on a affaire-là à un film très efficace et qui n’est clairement pas dénué de talent, je trouve néanmoins tout de même bien rageant que l'audace n'ait pas été poussée jusqu'au bout.
En fait j’ai l’impression qu’à un grand scénario de cinéma, Stéphane Marnier y a presque associé une réalisation dans l’esprit de Netflix (en exagérant le trait bien sûr) et que ce choix a été conscient et globalement perçu comme un standard acceptable.
Ça, oui, je trouve ça vraiment dommage.


Alors certes, malgré tout il reste ici la grande qualité du scénario et de renier ça je serais bien sot. Mais quand bien même ça aide beaucoup, que je trouve néanmoins triste d’avoir à trop réduire pour l’essentiel la qualité d’un film à son scénario...

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le 25 oct. 2022

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