L’odeur de la papaye verte se veut une invitation à l’éveil des sens et au contentement bouddhiste. Naïvement, le spectateur se glisse dans une douce torpeur et tente de s’immerger dans les yeux d’une sainte petite fille. De béatitudes en béatitudes, le décor à lui seul est une source de contentement par rapport au dur quotidien des êtres affairés (ou oisifs) qui l’habitent. Tel est le vecteur autour duquel orbite ce long-métrage.
Résumé de la sorte, cet enjeu paraît tout à fait honorable et propice à mettre en images. Mais L’odeur de la papaye verte laisse malheureusement une impression de vide absolu dans son sillage, se noyant dans une artificialité esthétique vaine et sans envergure. Tout est filmé sans intention de délivrer un quelconque point de vue sur l’action. Les plans se suivent et se ressemblent, obsédés par les recoins et les angles fuyants de chaque pièce de ce décor, certes charmant mais figé. Si bien que ce décor domestique paraît finalement tenir le rôle principal du film, bien avant celui de la jeune servante. Les personnages ici occupent le décor, mais ne l’habitent jamais. Les personnages sont alors un décor, et le décor est un personnage. Ce n’est pas un problème en soit, mais encore faut-il que ce décor ait une âme, ait une signification réelle. Cependant cette maison est désespérément figée. On pourra prendre à titre de comparaison le film Printemps, été, automne, hiver… et printemps de Kim Ki-duk. Le coréen nous donne un décor somptueux avec une personnalité véritable. Personnalité bienvenue là où elle accompagne les personnages et leurs drames passagers mais bel et biens inscrits dans cette nature, dans ce sanctuaire. On note d’ailleurs que les deux films présentent le sacrifice de petites bêtes. Là où ce sacrifice représente le rapport du personnage avec ses semblables dans le film de Kim Ki-duk, celui de Tran Anh Hung est un simple épisode quotidien qui n’est là que pour distraire.
Finalement dans L’odeur de la papaye verte, que représente ce décor ? En fait rien. Il ne représente que lui-même. Il est purement matériel, soulignant le côté pervers de la vision bouddhiste du monde qui nous est offerte. Contemplative, mais finalement contemplative sur une matière inerte. Maintenant que reste-t-il de ce film ? Des personnages fantômes, vitrines de particularités humaines plates et monolithiques.
On note une petite recherche dans les effets sonores qui n’échappe pas à ce travers artificiel que dégage le film. Une musique qui est censée déclencher de l’interrogation, ou des sursauts d’intérêts pour des comportements très ponctuels au cours du temps. De la même manière qu’on agiterait un jouet pour un enfant qui a perdu sa concentration. Passons sur le bruit des moteurs d’avions qui à défaut d’être subtil n’ajoute rien de plus à la perspective étriquée du metteur en scène.
La photographie est très agréable, mais comme le reste du film n’est qu’une vitrine. Elle n’implique rien, et n’a pas de sens véritable. La caméra quant à elle est élégante une fois en mouvement dans les espaces ouverts, mais très peu inspirée lorsqu’il s’agit de se rapprocher des actions ou des personnages, voire maladroite.
On peut donc se demander si l’écho dont a bénéficié ce long-métrage n’est pas tout aussi artificiel que lui-même. Symptôme peut-être d’une recherche de dépaysement immédiat de la part des spectateurs. Forte odeur, mais très court en bouche.