Faut-il s'étonner des remous que provoquèrent "L'Interrogatoire" à sa sortie dans le contexte d'une URSS proche de la dislocation ? Banni, voué à l'opprobre au vu de son sujet houleux, le film interpelle tant par ce qu'il montre que par ce qu'il dénonce. Une chanteuse de cabaret est séquestrée dans une prison sans qu'elle ne comprenne le pourquoi du comment. Tout est fait pour lui arracher des aveux, même s'il faut recourir à la violence physique ou à la torture psychologique. C'était l'époque où l'Europe vit le nazisme être anéanti, à défaut du communisme dont l'idéologie est tout autant mortifère que celle de Mr Hitler. La Guerre Froide commençait et avec elle l'espionnage, la construction du rideau de fer et les complots politiques (qui n'ont toujours pas disparu à notre époque mais dont la dimension n'est plus la même). Antonina sera l'une des victimes de la tyrannie rouge et le réalisateur compte bien ne pas mettre de gants en filmant de manière frontale les atrocités qui se déroulaient derrière les murs des prisons envers toute personne qui ne dirait pas "Amen" au communisme.


Toute la procédure n'a pour but que de soutirer la culpabilité forcée de l'accusé, lui faire avouer n'importe quoi pour être réhabilité. Les thuriféraires de Costa-Gavras n'auront pas manqué de voir les nombreux points de ressemblance avec "L'Aveu", l'un de ses meilleurs longs-métrages et aussi l'un de ses plus interpellants. C'est en quelque sorte la réponse polonaise au cinéaste d'origine grecque. Si le communisme est la toile de fond de l'univers, le propos peut être extrapolé à l'ensemble des régimes totalitaires où les droits de l'Homme étaient allègrement bafoués et où l'on organisait des procès impitoyables à l'abri des regards indiscrets et bien sûr sans avocat. N'importe qui aurait pu se retrouver à la place d'Antonina. Les autorités se basent sur des soupçons, des fausses déclarations obtenues sous la contrainte. Il ne peut en être autrement car le système ne se trompe jamais.


Les humiliations se perpétuent avec la cadence d'un métronome. Interrogatoires forcés, douche froide, coups et menaces de mort. Ce cocktail fait vaciller la santé mentale de cette dame qui, pour ne rien arranger, a une réputation sulfureuse de fille délurée. C'est un prétexte pour les toutous de Staline pour la semoncer et l'insulter, pour être poli, de péripapéticienne. Dans ces conditions, inutile de dire que "L'Interrogatoire" est un quasi huit-clos étouffant, austère et où l'on ne fait montre d'aucune pitié. Les chambres sont vétustes, les rats se baladent dans la salle des douches. On tente par tous les moyens de transformer l'être humain en animal. On poussera même le vice jusqu'à manipuler le mari pour qu'il la désavoue dans les yeux. Encore une fois, c'est un autre clin d'oeil à "L'Aveu".


Toutefois, si le film tient en haleine sur toute la durée, nous écrasant par son atmosphère pesante, le réalisateur oblique sur un choix douteux qui ne m'a pas convaincu, à savoir la romance entre Antonina et son bourreau. J'ai trouvé que ça sonnait faux. Ca atténuait la noirceur du film. J'aurais amplement préféré une absence totale de compassion de la première à la dernière minute, vu à quel point le ton était donné. Pourquoi ce choix ? Peut-être pour la métaphore de la mort de Staline voyant peu après la naissance du fils d'Antonina. Une sorte de renaissance, un nouveau chapitre dans l'histoire de la Pologne pour repartir sur des bases plus saines. Certes, c'est beau mais malgré tout mes efforts, il y a quelque chose qui coince.


Cela ne reste bien sûr qu'un problème très mineur vu toutes les qualités offertes et avec elles une Krystyna Janda tout bonnement stupéfiante, dont le jeu d'acteur mériterait à lui seul un Oscar. "L'Interrogatoire", un film fort, cruel mais nécessaire pour ne pas réitérer les erreurs du passé mais pour cela, encore faut-il le vouloir.

MisterLynch
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Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Il faut reconnaître que ces films mettent mal à l'aise

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le 9 juil. 2022

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MisterLynch

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