Voilà un film très étrange, que je ne reverrai peut-être jamais, mais qui restera assurément dans ma mémoire comme une expérience atypique, envoutante et peut-être aussi un peu frustrante.
Le format carré de l’image convoque immédiatement le souvenir de ces films domestiques, ces tranches de quotidien capturée par la pellicule super 8 familiale avec ses tons orangés et marronnasses, trahissant une époque depuis déjà longtemps révolue. En l’occurrence, ici, le souvenir un peu proustien d’un fragment d’enfance passée à Madagascar au début des années 70, dans une famille d’expatriés, réunie autour d’un père militaire. Le film qui se déroule sous nos yeux passe à travers ceux du protagoniste principal de cette histoire, un jeune garçon d’une dizaine d’années, et petit dernier de la famille. On est à sa hauteur, caché dans une caisse en bois, sous une table, suivant le regard innocent, mais aussi un peu curieux, souvent largué, mais pas complètement naïf de ce gamin, que notre propre maturité complète. Les tensions familiales, le contexte post colonial de l’île, le murmure des révoltes paysannes et la vision des malgaches, et notamment des femmes du pays, vis à vis des militaires français… c’est tout un hors-champ qui se laisse à peine deviner, mais que nous ne verrons jamais, ou plutôt que lui ne verra jamais. Certaines séquences (la noyades des deux soldats, l’exorcisme du soldat possédé par la prostituée), malgré leur réalisme apparent, se sont glissés parmi ces souvenirs, mais semblent provenir de l’imagination du gamin, qui met des images sur des paroles d’adultes dont il ne saisit pas le double langage. Ces séquences familiales, triviales, ces repas ou ces après midi passés à la plage, dans une fausse indolence, une tranquillité d’apparence, sont entrecoupées par les lectures du gamin, passionné par Fantômette. Les histoires naïves de la bibliothèque rose, qui s’incarnent à l’écran, offrent non seulement de délicieuses séquences au spectateur, nous permettant de partager la fascination du gamin pour l’héroïne, mais elles lui permettent surtout d’envisager la présence du mystère qui l’entoure.
Il ne comprend pas ce qui se passe, mais il comprend qu’il se passe quelque chose. Ces interludes nous emmènent finalement à l’errance nocturne du gamin qui a enfilé un costume de Fantômette que sa mère lui a cousu. Un costume qui porte déjà une ambivalence merveilleusement amenée quand, lorsqu’en l’essayant, le gamin réalise qu’il ne doit pas enfiler le collant que sa mère lui a donné devant ses grands frères. Ainsi fagoté, le gamin erre dans les rues sombres du village suivant discrètement une prostituée qui déambule avec un soldat, annonçant la dernière partie du film, en rupture totale avec le point de vue qu’avait jusqu’ici le film, et révélant alors au spectateur - en italique - une partie de la tension qui règne sur l’île. Et puis, comme les troubles politiques qui agitent l’île poussent les soldats français à rentrer au pays, le film s’achève, reléguant définitivement cette époque au rang de vague souvenir, à celui d’un mystère insaisissable et d'un truc qui cloche, mais qu’on ne peut nommer. La frustration que j’avais pu ressentir de ne pas avoir eu un film dépiautant les tenants et aboutissants d’une révolte paysanne contre son ancien colonisateur, laisse alors place au plaisir d’avoir vu un film magnifique sur l’enfance, celle qui concerne les gamins qui ont disparu depuis longtemps, et qui n’existent plus que dans nos mémoires. Sacré Campillo, il est fort, vraiment fort.