L'Île de Giovanni
7.2
L'Île de Giovanni

Long-métrage d'animation de Mizuho Nishikubo (2014)

Le meilleur film d'anim' japonais ne vient pas des studios Ghibli en cette année 2014

Le Tombeau des lucioles tient ici un joli successeur. On y retrouve en effet plusieurs points communs : le contexte difficile de la deuxième guerre mondiale, l'espoir qui reprend grâce à deux enfants, porté par des images poétiques, et un dénouement qui tend vers le tire-larmes. Mais il se serait dommage de réduire ce film d'animation à cette comparaison, car il propose bien plus que cela. A commencer par son sujet atypique (première fois que je le vois traiter au cinéma), à savoir les russes qui occupent cette île après la défaite du Japon, et surtout la manière dont ils vont le faire. A première vue, le réalisateur joue beaucoup avec la peur que suscite ces étrangers, et se met en quelque sorte à la hauteur des enfants. Ainsi, il ne ménage pas ses effets (l'arrivée du capitaine dans l'école procure quelques frissons). Que la menace soit réelle ou pas, on nous tient en suspens, en tous cas elle n'est pas moins ressentie comme telle. Mais c'est pour ensuite mieux nous déplacer vers une amitié inattendue entre une jeune russe et un jeune japonais, qui fonctionne vraiment, en premier lieu grâce à une idée assez originale, un ressort narratif utilisé à plusieurs sauces dans le récit : "le train de la voie céleste".


D'abord utilisé comme une fuite vers l'imaginaire (très jolies envolées lyriques), celui-ci devient ensuite un véritable lien pour ces enfants de nationalité différente (lorsque le train miniature passe entre les deux maisons, c'est juste sublime), finalement tous isolés dans cette situation commune. D'autres très beaux artifices sont utilisés pour construire cette relation, percer symboliquement les murs entre ces deux peuples (comme les chants dans l'école qui se répondent). Mais ce film n'est pas seulement un appel à la paix et à l'amitié russo-japonaise, mais aussi sur la résistance, incarnée cette fois-ci par les adultes. De ce côté là, le portrait est plus nuancé que les enfants, à l'image de ces deux frères qui, s'ils appartiennent au même camp, représentent deux façons de faire (l'un est comme un soldat droit comme une flèche, l'autre comme un fanfaron qui prend beaucoup de risques pour lui et les autres) qui ne sont pas nécessairement opposées. Et si ce point de vue apporte une dose de maturité bienvenue au récit, celui-ci ne devient pas pour autant manichéen. Sans oublier le grand-père qui incarne l'esprit de l'île à lui tout seul, et résiste lui aussi à sa manière en continuant à faire les choses comme avant, ce qui rend son départ encore plus émouvant. Entre naïveté enfantine et "hauteur" adulte, le ton juste est trouvé.


Ainsi, la première partie sur l'île est vraiment magnifique par la puissance émotionnelle qu'elle dégage, et le portrait contrasté de cette vie en commun qui en est fait. Par contre, la suite m'a un peu moins passionné, lorsqu'ils se retrouvent tous en URSS. Il faut dire que le coeur du film repose avant tout sur cette jeune russe, et l'amitié qu'elle développe avec son ami japonais, qui fait ressortir plein de belles choses. Et cette seconde partie, même si le dénouement est triste et beau à la fois, me parait un peu plus conventionnel, moins surprenant. Mais pour le reste, c'est une petite perle que voilà, qui fait du bien après l'annonce récente des studios Ghibli d'arrêter les longs-métrages d'anim'. Pourtant, le trait du dessin est beaucoup plus modeste que ce que ces derniers ont pu proposer. Comme quoi, une histoire intéressante et bien racontée, des personnages attachants, un point de vue original, et une direction artistique solide, sont bien plus importants que le niveau technique seul. On tient tout simplement l'un des plus beaux fleurons du genre de ces dernières années. Un petit conseil, préparez les mouchoirs.

Arnaud_Mercadie
8
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le 10 janv. 2015

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Dun

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