Jeux interdits et poussieres de rêves.
Sur île de Shikotan au nord de l'Archipel du Japon, deux jeunes frères vont découvrir les conséquences de la Seconde Guerre Mondiale au lendemain de la défaite Japonaise et de l'indexation d'une partie de l'archipel des Kouriles par la Russie.
Les évènements de 1945 sont certainement les plus traités au cinéma et notamment au Japon, où la défaite d'une part mais surtout la puissance de feu utilisée pour celle-ci a profondément marqué non seulement les Japonais, mais plus globalement la culture japonaise.
Ceux qui sont adeptes de littérature et de manga Japonais savent que lorsque ce n'est pas directement le sujet, ces évènements sont presque toujours omniprésents en filigrane ou sous forme de métaphore.
Ici, Mizuho Nishikubo traite des conséquences différemment et surtout sous un angle que je ne connaissais pas. Car si la domination Américaine et le traumatisme de l'arme nucléaire sont les sujets qui reviennent le plus, celui de l'occupation Russe est moins connu.
Son réalisateur lui aussi inconnue du public même averti, a longtemps travaillé aux côtés de Mamoru Oshii, l'un des fondateurs de la Japanimation moderne, en produisant notamment Ghost in the Shell.
Mizuho Nishikubo est donc adepte d'une très grande qualité aussi bien visuelle que du récit. Hormis deux détails d'animation (l'eau en animation numérique dans les scènes du présent et le fond de couleurs spectrales lors des scènes de rêves) qui m'ont parus inadaptés et très mal incrustés tout le reste de l'œuvre semble entièrement dessiné et je dois dire brillamment animé.
Cela fait du bien de voir un film d'animation qui s'appuie sur une excellente qualité de dessins plutôt que de jouer d'effets numériques bons marchés.
Le dessin est racé, fin et toujours pensé comme un film dans ses plans et sa distance. Il n'est d'ailleurs pas étonnant de voir la propension du marché Japonais a réalisé des "films live" lorsque l'on regarde des films d'animation tels que L'Île de Giovanni étant donné la proximité entre celui-ci et le cinéma réel.
Si j'ai un peu de mal avec l'introduction, le reste du récit est excellent.
On suit avec plaisir et beaucoup d'émotions Junpei et Kanta dans leur enfance.
Grosse différence avec Le tombeau des Lucioles par exemple, qui lui avait adopté un point de vue strictement extérieur, L'Île de Giovanni filme a partir la vision des enfants.
Il est d'autant plus simple de participer à leurs aventures lorsque l'on est directement projeté dans leur imaginaire, leurs joies enfantines et leurs peines innocentes. Sur ce point le film évite justement le marasme qui existe dans certaines œuvres en ne tirant pas toujours sur la ficelle de la tristesse.
Au contraire on s'amuse très souvent et on s'éveille aux merveilles de l'enfance.
La scène de rencontre interposée entre les deux frères et Tanya par le partage d'un train de modélisme est extraordinaire.
La lumière, les plans et la poésie qui se dégage de cette scène vaut plus à elle seule plus que l'omniprésence sinistre du Tombeau des Lucioles.
La mécanique de la découverte de l'étranger est aussi très belle et; la traiter au travers d'enfants; catalyse toute la versatilité des émotions liée à la confrontation des cultures.
L'épouvante côtoie l'amour avec autant d'insouciance que celui d'un enfant de primaire pour s'ouvrir sur l'absurdité des situations géopolitiques dans certaines parties du globe.
Dans un souci d'authenticité et de qualité Mizuho Nishikubo a fait enregistrer les voix originales en Russe et en Japonais et le résultat est parfait.
J'ai rarement vu un travail aussi soigné dans le doublage d'un film d'animation autant visuellement que sur le rendu sonore.
Alors tout n'est pas parfait. Je trouve les scènes sur le train des rêves beaucoup trop démonstratives et surtout pas raccord avec le reste du film. J'aurais préféré quelque chose de plus fantastique et plus onirique, comme dans Le Voyage de Chihiro par exemple. Une certaine folie qui n'existe pas ici.
Les scènes dans le présent n'apportent rien et cassent le rythme d'autant plus qu'elles bordent le film et se permettent des facilités que le cœur du film évite justement.
Un film avec des yeux d'enfant et des idées d'adultes.
Intelligent, drôle et mélancolique, l'Île de Giovanni a su faire muer son genre dramatique en fable nostalgique d'enfance meurtrie mais surtout pas perdue.
Car aucune expérience n'est jamais vaine tant que les souvenirs perdures.
Une ode à la mémoire individuelle et collective.