Ce titre mémorable, cette affiche rappelant les vieux films américains et le synopsis mettant en avant les sujets de l'identité et du passé (deux thématiques revenant souvent dans mes créations) m'ont convaincu à me lancer dans le visionnage de mon premier film d'Aki Kaurismaki, dont je n'ai entendu que des éloges. Le résultat fut concluant, sans pour autant totalement m'embarquer. On en parle dans cette critique, bonne lecture !


Aki Kaurismaki s'attaque à un exercice de style des plus passionnants en montrant au spectateur un protagoniste épuré, vide, privé de tout background. De ce fait, il renonce justement à ce qui est nécessaire pour créer un "personnage standard". Au fil du film, cet homme au passé oublié va peu à peu se remplir de substance pour devenir le personnage qu'il aurait dû être. On assiste donc de toute pièce à sa construction mentale, à sa création métaphysique.
Sans avoir eu l'occasion d'apprendre à l'aimer, je me suis épris de ce personnage qui livre une efficace déclaration d'amour à la vie. En effet, plus il fait des connaissances, plus il reprend vie et en même temps, il enchante son monde à nouveau, faisant rejaillir une flamme éteinte, oubliée. Ne connaissant rien du système ni de sa véritable identité, il n'a plus d'entrave, aucune règles sociétales et normatives ne l'empêchent de réaliser ses désirs immédiats. Ce protagoniste en devient donc encore plus imprévisible et vivant, jouissant d'une liberté totale.


Néanmoins, derrière cette ode à l'humanité et ce personnage profondément libre, le réalisateur finlandais livre un propos plus dur, social et terre à terre. Il met en scène des marginaux habitant dans un monde différent du nôtre, arrivant à le rendre de part l'ambiance sonore, la composition et son contenu, à la fois enchanteur et absurde.
En empêchant son protagoniste d'avoir une identité ou des origines, il le fait devenir personne, un Mr.Nobody. Pendant tout le film, il se fait marginaliser par la société. Que ce soit lorsqu'il cherche un travail ou à la banque, on requiert de savoir son nom. Personne fait attention à qui il peut être, à sa personnalité, on ne s'intéresse qu'à un nom parmi tant d'autres dans ce système engloutissant.
En créant un personnage anonyme, Kaurismaki parle au nom d'un peuple, englobant les marginaux, les sans-abris, les "bizarres", les oubliés de la société.


Intéressons nous maintenant à la forme. Au niveau de la mise en scène, la fixité du cadre enferme les personnages dans leur monde isolé, presque surnaturel. Elle est toutefois renversée par les scènes de chant et les moments de partage, apportant un vent de fraicheur bienvenu. L'idée de groupe, de collectivité est montré positivement par Kaurismaki, comme la solution à tous les problèmes de la vie. J'apprécie également le désir d'économie de plan guidant le long-métrage, ne filmant que l'essentiel d'une manière brute, incisive. Tout a une utilité mais ce qui nous est donné à voir convoque aussi dans le même temps tout un imaginaire de notre expérience passé.


Le jeu des acteurs peut déstabiliser, Kaurismaki choisit un sous-jeu qui instaure aux personnages un ton monotone déconcertant mais qui les rend également vifs, tranchants, marquants et paradoxalement vrais. Toutefois, à cause de cette intention, je ne peux pas dire que j'ai vraiment été ému par le film. Les émotions des personnages ne vibrent pas, ce qui ne permet pas aux spectateurs de s'impliquer personnellement. Peut-être est-ce pour que l'on se concentre plus sur son propos ou sur ses intentions scénaristiques, ce qui marcherait plutôt bien, mais je trouve dommage qu'on n'éprouve qu'une légère satisfaction face à la résolution de l'intrigue. Cette épure améliore donc le film comme elle le dessert.


Le film démarre de manière très violente, affichant une extrême cruauté que l'on retrouvera dans les actes de certains personnages secondaires. La violence humaine, qu'elle soit physique ou psychologique, est partout mais toujours contre-balancée par une profonde et sincère humanité. Cette ambivalence de l'intrigue permet au réalisateur d'à la fois exposer son propos puis de dénoncer la pauvreté et son exclusion tout en faisant ressortir une note d'espoir qui m'accroche. Sans être emballé, je ressors du film très satisfait et intrigué de découvr ses autres oeuvres, dont la plupart sont disponibles sur Arte.tv pour encore quelques mois.

Sinar1107
6
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le 27 déc. 2020

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Sinar1107

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