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Bastien. Un prénom qui, déjà, devrait éveiller quelques vagues souvenirs en vous ... Non ? Et si je vous dis Falkor, Atreyu, Artax ... ? L'Histoire Sans Fin, bien entendu !

Ce film a sans doute bercé l'enfance de la plupart d'entre nous, en nous embarquant dans sa folle aventure, à dos de dragon porte-bonheur. Réalisé par Wolfgang Petersen en 1984, ce n'est qu'une adaptation partielle d'un roman de l'auteur allemand Michael Ende publié en 1979. En effet, le film de 1984 ne traite que de la première partie du roman, tandis que sa suite de 1991, l'Histoire Sans Fin 2 : Un Nouveau Chapitre, s'inspire très légèrement de la seconde partie du roman, abandonnée par Petersen. Mais nous ne discuterons pas ici des problématiques de l'adaptation.


Histoire de vous rafraichir la mémoire, voici un rapide rappel :
- Bastien Balthazar Bux est un jeune garçon rêveur. Sa mère étant morte, et son père plutôt absent, il ne trouve le réconfort que dans les livres, tandis que dans le « monde extérieur », il multiplie les échecs scolaires et se fait maltraiter par une bande de jeunes garçons de son école.
- Afin de leur échapper, il se réfugie dans la librairie de Monsieur Coreander. Bastien se prend d'intérêt pour le livre que M. Coreander lit, et profite d'un moment d'inattention du libraire pour le voler et s'en aller.
- La lecture de ce livre le plongera dans l'univers merveilleux de Fantasia, rongé par de terribles maux : la Petite Impératrice qui gouverne ce monde est atteinte d'une maladie mortelle, étrangement liée à l'avancement du Néant, qui englouti et détruit Fantasia de jours en jours.
- Un héros, Atreyu, part donc en quête d'un moyen de sauver la Petite Impératrice.

Ca y est, ça vous revient ? Hé bien étudions ce film ensemble et disséquons nos souvenirs. En visionnant à nouveau ce film, d'un œil adulte cette fois, nous pouvons remarquer trois choses, trois thèmes : la première, et plus frappante, est que c'est un film clairement destiné aux enfants, et qu'un adulte revoyant le film pourra être légèrement déçu par certains aspects ; ensuite, que le film aborde toutes les étapes nécessaires et indispensables à la Quête Initiatique. Il en comporte aussi tous les personnages récurrents ; enfin, que le film, sous son apparente légèreté, traite du conflit entre Imagination/Fiction et Réalité et oppose ces deux mondes. Ce sont ces trois thèmes que je me propose d'aborder avec vous plus en détails dans cet article.


***

Premier élément, donc, et peut-être le plus choquant pour un public plus mature, c'est le public destiné : Petersen a clairement destiné son film aux enfants. Les personnages sont « comiques », et quand je dis ici comique, je parle d'un comique de classe primaire ... C'est-à-dire qu'à notre âge, désormais, on sent qu'on devrait rire, mais on ne voit pas pourquoi. Les meilleurs représentants de ce comique agaçant sont le troll vagabond et sa chauve-souris narcoleptique, ainsi que le couple de gnome Engywook et sa femme Urgl.
Aussi, un enfant ne s'attachera que peu à la forme, mais uniquement au fond. De cette manière, on ressent que Petersen ne s'est pas ennuyé avec de grands mouvements de caméra et une mise en scène léchée. La réalisation est somme toute basique, et l'on se retrouve même parfois face à un manque total de transition et quelques abruptes coupures. Un manque de continuité dans le script, aussi. Par exemple, quand Atreyu est sauvé par Falcor le Dragon Porte Bonheur, celui-ci déclare qu'il a parcouru 9 891 miles sur les 10 000 que devait parcourir Atreyu pour atteindre l'Oracle Sudérien. Ce qui lui laisse encore 109 miles à faire, soit 175 kilomètres. Après une discussion avec le couple de gnome, il décide de partir tenter sa chance et passer le premier portail, et le voilà que, au plan suivant, semblant arriver à peine quelques secondes plus tard, voilà déjà Atreyu face aux deux sphinx qui gardent le passage. Un détail, peut-être, pour certain, mais un détail tout de même encore plus grand que le trajet Lille-Amiens.

Alors, quand on le revoit des années plus tard, on a du mal à retrouver ce charme qui nous a tant plus. Mais on le retrouve tout de même un peu, ne serait-ce que par les décors et les costumes, dans lequel tout le budget a du passer ! On ne peut que noter la virtuosité des effets spéciaux pour l'époque, l'animation et l'expression de visages pourtant entièrement artificiels comme ceux du Mangeur de Pierre et de Falcor. Je m'étonne encore de ne pas avoir pleuré, dans mon jeune temps, face au visage du Mangeur de Pierre déprimé et ayant perdu tout goût de la vie, quand il relate comment il n'a pu sauver ses amis des gouffres du Néant, lorsque ceux-ci lui ont échappé des mains (« they look like big, good, strong hands, don't they? I always thoughts that's what they were [...] the Nothing pulled them right out of my hands. I failed.»). Encore maintenant, cette scène m'attriste énormément. Et la scène où il décrit comment la belle région d'où il vient a disparue dans le Néant m'a toujours flanqué une frousse bleue. Une sorte de peur profonde, la peur de l'ennemi invisible, le Néant : « Near my home, there used to be a beautiful lake! But then... then it... it was gone. – Did the lake dry up? – No, it just wasn't there anymore. Nothing was there anymore. Not even a dried-up lake. – A hole? – A hole would be something. No, it was Nothing! And it got bigger, and bigger! ». La peur enfantine du Néant, comme celle de l'Infinie, joue sur le fait qu'un enfant, ni personne, ne peut se l'imaginer, se la représenter. Qu'est-ce que l'Infini ? Qu'est-ce que le Néant ? Des questions qui m'empêchaient de dormir la nuit, me filaient la peur au ventre, et laissaient mon esprit, habituellement si plein, désormais si vide, si vide de réponse. On peut réchapper au loup Gmork, car on le voit, car il existe, on peut donc s'en cacher, le cacher, le détruire, le nier. Mais que faire face à ce qui n'est pas ? Face à ce qu'on ne peut même pas imaginer ? On peut bannir de son esprit une image, une pensée ; pas un trou noir, pas Rien. Bref, l'Histoire Sans Fin en aura sûrement effrayé plus d'un.



Le film est aussi une Quête, la Quête d'Atreyu pour sauver la Petite Impératrice : un modèle maints et maints fois utilisé, en livre, film, jeu vidéo ... Car c'est un schéma d'aventure classique, connu et apprécié des enfants. Ici, tout y est. Commençons par les personnages : Il y a le Héros, Atreyu, bien souvent à cheval ou avec un autre animal de compagnie, ici Artax. Il y a l'adjuvant, celui qui aide le héros dans sa quête : On peut citer Falcor, le médaillon AURYN, la tortue Morla, le couple de gnomes ... En face se trouve l'Opposant, l'ennemi, qui cherche à freiner le Héros dans sa quête : le principal ennemi est le Néant, mais il y a aussi le terrible loup Gmork, ou encore les Sphinx qui gardent l'entrée de l'Oracle Sudérien. Mais la Quête, quelle est-elle ? Trouver un remède qui sauvera la Petite Impératrice et Fantasia. La Quête est souvent initiée par quelqu'un, pour quelqu'un ou quelque chose. C'est le chambellan de l'Impératrice qui lance Atreyu en quête d'un remède pour la Petite Impératrice. Dans la réalité, chez Bastien, le schéma est à peu près similaire. Notre héros, c'est Bastien. L'adjuvant, c'est son Imagination. L'opposant, c'est la réalité, son père (« stop daydreaming, start facing your problems »), les trois voyous qui harcèlent Bastien. Sa quête ? Trouver son bonheur, être heureux. Le destinataire de la Quête, c'est avant tout Bastien lui-même. Celui qui l'a initié ? Le libraire, M. Coreander.
Le schéma narratif est lui aussi classique, et identique à celui que nous avons pu apprendre lors de nos plus jeunes classiques de français et de littérature : Situation initiale (Bastien dans la Réalité, ses problèmes à l'école, son père distant, les trois voyous qui l'agressent ...), évènement perturbateur (son entrée dans la librairie de M. Coreander et la découverte du livre de l'Histoire Sans Fin), les aventures qui en découlent (la quête d'Atreyu), l'évènement réparateur (la prophécie émise par l'Oracle du Sud, qui ne se réalisera que plus tard, quand Bastien acceptera d'être le vrai héros de l'histoire) et la situation finale (le pays de Fantasia est sauvé, tous les habitants son en vie).
Les aventures elles-mêmes sont prévisibles : la quête d'Atreyu est remplie de hauts et de bas. Les hauts : Il part en quête du remède et cavalcade de partout ; il est sauvé par Falcor ; il passe la porte des Sphinx et obtient la solution à sa quête ; il part en quête des limites de Fantasia. Les bas : son cheval Artax meurt ; il manque de mourir dans les Marais de la Désolation ; il est séparé de Falcor par le Néant et pense avoir échoué dans sa quête. Le tout est soigneusement disséminé le long du film, à un rythme relativement régulier de « haut – bas – haut – bas ». Encore une fois, cette trop grande facilité plait aux enfants, et irrite quelque peu le spectateur adulte.



Mais le plus important, et le plus intéressant dans tout ça, ce n'est pas forcément la Quête d'Atreyu, mais celle de Bastien. C'est cette opposition entre la Réalité et la Fiction. Bien qu'opposition ne soit pas forcément le bon mot, car, à l'image d'AURYN, la Réalité et la Fiction se mêlent, s'entrecroisent, et ne font qu'un. Le médaillon rappelle l'image de l'Infini, l'Infinité des possibilités de l'Imagination ; c'est aussi une adaptation du Yin et du Yang, le doré pour l'Imaginaire, le Vert pour la Réalité, et où un peu des deux se trouverait d'un côté comme de l'autre ; c'est aussi Ouroboros, le serpent/dragon qui se mord la queue, symbole de l'Eternité, de l'Infini, du cycle de la vie, mais aussi symbolise l'union de la terre (la Réalité) et du Ciel (l'Imaginaire) : sa forme de serpent le rattache à la terre, et le cercle symbolise le monde céleste. AURYN est sur la couverture du livre, ainsi qu'au cou d'Atreyu : à la fois dans la Réalité, ainsi que dans la Fiction.
La Réalité, qu'est-ce que c'est ? Pour Bastien, c'est le décès d'une mère, un père absent pour son travail, des échecs scolaires, des petites brutes qui le traumatisent. Une réalité de laquelle il s'échappe à travers les livres, mais vers laquelle son père l'attire à nouveau : « get your head down the cloud, keep both feet on the ground ». L'Imaginaire, qu'est-ce que c'est ? Une terre peuplée de créatures extraordinaires, des paysages magnifiques, des aventures palpitantes. Un échappatoire, un lieu où l'on peut être le Héros (« Your books are sage. You get to be Tarzan or Robinson Crusoe »), mais où, malheureusement, on ne reste pas assez longtemps (« but afterwards, you get to be a little boy again »). Mais cette fois-ci, c'est le libraire qui l'attire à nouveau vers l'Imaginaire, en lui parlant de l'Histoire Sans Fin. Nous avons donc deux mondes qui s'affrontent.
Bastien, malgré la promesse faite à son père de « stop daydreaming, start facing your problems », sèche les cours et se réfugie dans le grenier de son école où il entame la lecture du livre. Tout au long de l'histoire, des éléments nous permettent de distinguer un enchevêtrement des deux mondes : le film jongle régulièrement entre Atreyu et Bastien, nous montrant les réactions de Bastien selon ce qu'il se passe dans le livre. On le voit pleurer à la mort d'Artax, pousser un soupir de soulagement quand Falcor vient sauver Atreyu des griffes de Gmork, etc. Mais le parallèle se fait de plus en plus troublant quand Atreyu et Morla entendent Bastien pousser un cri de terreur, ou quand Atreyu, face au miroir qui révèle le moi profond de quiconque y regarde son reflet, y voit Bastien. Le petit garçon alors apeuré lance le livre loin de lui, mais après ce déni, il souhaitera plus tard être le « petit d'homme » qui devra rebaptiser la Petite Impératrice afin de la sauver. Mais quand cette responsabilité lui échoit, il failli à nouveau, et ne se décide que bien tard à assumer son vrai rôle. Car l'Histoire Sans Fin est un « Livre dont Vous êtes le Héros », et fait appel à son lecteur. Imagination et Réalité ne font plus qu'un, et c'est réellement Bastien, l'enfant dans la réalité, qui sauvera Fantasia. La mise en abyme est d'ailleurs poussée encore plus loin, lorsque la Petite Impératrice semble impliquer, non pas seulement Bastien qui lit l'histoire, mais aussi le spectateur qui regarde Bastien lire l'histoire. La mise en abyme est double, et l'on se retrouve, nous aussi, derrière notre écran, impliqué dans l'histoire : « Just as he is sharing all your adventures, others are sharing his. They were with him when he hid from the boys in the bookstore; they were with him when he took the book with the AURYN symbol on the cover, in which he's reading his own story right now ».
Par cette double mise en abyme, le réalisateur en appelle au spectateur, et lui fait prendre conscience qu'il est lui aussi concerné par ce qui se déroule dans le film : Fantasia est dévoré par le Néant. En d'autres termes, l'Imagination des Hommes disparait peu à peu, comme nous l'explique Gmork, au cas où nous n'aurions pas encore compris : « [Fantasia] is the world of human fantasy! Every part, every creature is a piece of the dreams and hopes of Mankind. Therefore, it has no boundaries! – But why is Fantasia dying then?! – Because people have begun to lose their hopes and forget their dreams. So the Nothing grows stronger. – What is the Nothing? – It's the emptiness that's left ». Le Néant, c'est l'absence de fantaisie, c'est la réalité, morne et terne, c'est le père en costard-cravate gris et son verre de jus d'orange qui part au boulot avec son attaché-case ; ce sont les jeux vidéos que méprise le libraire (« the video arcade is down the street. Here we just sell small rectangular objects, they're called books. They require a little effort on your part and make no b-b-b-b-beeps »). L'Histoire Sans Fin se veut une ode à l'Imaginaire, au pouvoir si puissant, que d'un grain de sable peut recréer un monde.

Car un grain de sable, c'est tout ce qu'il reste de Fantasia à la fin, mais Bastien en refait un monde, plus grand encore, plus luxuriant. D'un grain de sable voir un monde, c'est ce en quoi croyait le poète William Blake (1757 - 1827) :

To see a world in a grain of sand,
And a heaven in a wild flower,
Hold infinity in the palm of your hand,
And Eternity in an hour.

Dans un grain de sable voir un monde
Et dans chaque fleur des champs le Paradis,
Faire tenir l'infini dans la paume de la main
Et l'Eternité dans une heure.

Et pourtant, à son époque, le pauvre homme était considéré comme fou ...

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le 18 juil. 2011

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Tumenihr

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