Je chéris par dessus tout ce sentiment d'avoir tant espéré et attendu d'un film, et de recevoir 10, 100, 1000 fois ce que j'en attendais, et même plus encore... Avec L'Heure du loup Bergman est arrivé à mon sens au bout de quelque chose, à la finalité d'un cinéma qu'il avait entrepris d'explorer à partir d'A travers le miroir - si on met de côté une certaine récurrence de thématiques qui elles remontent effectivement à plus loin dans sa filmographie - et qui vient compléter et s'opposer admirablement à Persona, sorti 2 ans plus tôt, la fusion d'individualités dans la guérison face à la déliquescence d'un couple. Ce film marque le paroxysme de l'analyse de l'âme humaine, le "psyché" grec par le cinéaste suédois, tout est dit, tout est là sous mes yeux. Difficile alors d'être rationnel devant l'aboutissement du travail d'un génie, je suis complètement désarmé et il ne me reste que de vaines formules pompeuses pour exprimer mon ressenti.
Mais je peux cependant dire trois choses certaines et assez terre-à-terre: La première c'est qu'Ingmar Bergman s'est entouré pour ce qui est à mon sens son meilleur film de la meilleure combinaison d'acteurs possibles dans la grande troupe d'habitués de sa filmographie. Alors un mot pour ces 5 fabuleux acteurs sans qui le film aurait été tout autre j'imagine : Liv Ullmann et Max von Sydow d'abord, qui arrivent par un mélange d'expressivité faciale (Liv Ullmann) et de retenue inquiétante (von Sydow) à incarner ce couple déchiré par le mal qui ronge l'un, et le doute qui envahit l'autre. Et puis les apparitions démoniaques, fantomatiques, vampiriques que sont - notamment - Ingrid Thulin (quel délicieux choc de la voir nue...), Erland Josephson et Gertrud Fridh, des esprits terrifiants que l'on peine à situer et à rationaliser, la source de toute angoisse au final.


La seconde, c'est que j'ai trouvé ici ma photographie préférée de Sven Nykvist, qui joue avec les contrastes (la scène du meurtre éclatante par opposition à l'origine de l'heure du loup expliquée par Borg, plongé dans le noir total...) et les lumières naturelles (bougie, rayon de soleil, allumettes !) comme personne. Ceci est à mettre en relation avec le travail de mise en scène du cinéaste, qui je trouve a eu la lucidité et l'intelligence d'épurer ses mouvements de caméra, ne les gardant que pour illustrer symboliquement des scènes bien précises, que ce soit le travelling circulaire pendant le repas pour symboliser le malaise et l'inconfort de Borg et d'Alma, ou encore la trouvaille stupéfiante de réalisation, quand Erland Josephson se met subitement à escalader le mur, puis le plafond. Je me demande encore comment le cinéaste a fait ça d'ailleurs...


La troisième, c'est que je reverrai sans aucun doute ce film des dizaines de fois dans ma vie, foisonnant d'idées, aux dialogues richissimes et absolument fascinant à regarder rien que pour son inventivité visuelle et narrative, il a en plus l'avantage d'être (bien trop malheureusement) court, ce qui facilite grandement l'initiative de visionnage... De plus j'imagine qu'il faut un recul assez important pour appréhender un film aussi chargé en intention et en sous-texte dans son entiereté, recul que je n'ai pas du haut de mes 20 ans... Et surtout parce que grâce à lui, et si jamais ce n'était pas encore défini dans mon esprit, je peux enfin confirmer qu'Ingmar Bergman est mon cinéaste préféré en ayant une vision assez exhaustive de sa fabuleuse oeuvre qui s'étale sur près de 60 ans.


Radical, avant-gardiste, intimiste, L'Heure du loup est la personnification ultime des démons intérieurs, le réceptacle des névroses inavouées d'un réalisateur marqué par son enfance, la frontière ténue entre fantasme et réalité, c'est l'obscurité faite film.

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le 2 août 2016

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Sinbad

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