Film labyrinthique nous ramenant toujours à son centre, miroir multiple qui multiplie la même image, L’étrange couleur des larmes de ton corps est un tourbillon circulaire qui ne trompera plus personne passé la seconde vision. Dans la mesure où l’on s’attendait à une œuvre psychologique (l’ambition avec Amer était évidente et atteinte), toute l’attention du spectateur sera focalisée sur la recherche de la clef du récit qui nous ouvrira la porte des merveilles et nous permettre d’apprécier pleinement le spectacle, en sachant tout en profitant à 100% du récit. Ben non. L’étrange couleur est un exercice de style intelligent qui échoue complètement, et qui ne peut compter que sur l’indulgence du cinéphile pour recevoir des compensations (essentiellement pour sa technique, flamboyante, et une certaine cohérence dans son organisation). Sinon, tout ce film n’est que vanité. Une compilation d’effets de styles ininterrompue qui n’aura pour principal effet que d’attiser l’agacement du spectateur, se mordant sans arrêt la queue dans un exercice autocentré qui se révèle aussi fourni que stérile (avec un fétichisme évident et une redondance de l'oeil, comme si l'ambition visuelle n'était pas déjà assez mise en avant). Quand le spectateur n’a pas encore la moindre idée d’une piste d’interprétation, il se heurte à un mur constant, car le film ne fait pas d’effort d’ouverture et joue sur la redondance de certains éléments avec une insistance qui contribue encore davantage à son isolement (appartement fermé de l’intérieur, redondance interminable de la scène de sonnette, plans régulièrement circulaires…). Et quand le mystère est dévoilé… il tient en une phrase. Plus que la frustration d’être dans l’impasse, la frustration de se rendre compte d’autant d’efforts développés pour si peu. Et la prise de conscience de la stérilité du projet, voué à illustrer sans fin une idée résumée en une minute.

SPOILER : on ne va pas tourner autour du pot, la seule explication au film, c’est que le personnage principal, absolument seul pendant tout le film, est l’assassin. Les procédés le centrant au cœur de l’attention sont si démonstratifs qu’ils agaçent, il tue des femmes qu’il nomme toutes Laura (sa femme Edwige disparaît peu à peu complètement), et se révèle si confus dans son quotidien extérieur (métier vague, répétitions confuses, sentiments à côté de la plaque…), qu’il devient impossible de passer à côté. Chaque plan a été conçu pour illustrer le concept, tout en restant dans une logique de séquences dont l’esthétique est toujours poussée au maximum.
FIN DES SPOILERS

Mais même en se contentant d’un niveau esthétique, le film finit par devenir lassant dans son usage abusif de procédés ultra lourd graphiquement, qu’il utilise sans arrêt et sans la moindre notion de dosage. Les réalisateurs sont tellement obnubilés par leur envie de giallo bigger than life qu’ils en oublient d’avoir une histoire à raconter, et que l’abus de procédés visuels conduit aussi à un rejet, passé l’esbroufe visuelle. L’excès atteint un tel degré de kitsch que la beauté recherchée se noie, et nous étouffe (les ¾ des split screens sont complètement inutiles, les séquences noir & blanc saccadées… dont le tiers sont floues ou sombres). Surabondance d’effet et script lacunaire, voilà ce qui creuse la tombe de L’étrange couleur. A cette image, l’usage de la musique est complètement dans cette logique, parfois massacrée par un montage beaucoup trop abrupt (la scène des interphones, insupportable), ou entrecoupée de bruitages tonitruants), participant là aussi à cette impression de dégoût qui n’avait jamais été entrevu dans Amer. Au regard de ces énormes défauts, les maigres moments de bravoure du film (admirable séquence de suspense auditif pour la séquence de la chambre, intéressante parenthèses hors sujet de l’inspecteur…) passent tous au second plan, tant l’effondrement de la formule trahit les volontés initiales du projet. Sitôt créé, le giallo psychologique n’a déjà plus rien à offrir, sinon une auto-citation ultra-stylisée qui ne pourra assurer sa durée que dans la redondance. Une sacré déception dans son genre, mais dire qu’on est surpris serait un peu se mentir. Si « O is for Orgasm » avait consacré cette sensibilité visuelle optimale sur 5 minutes, la voir étalée sur une heure quarante, en plus de contribuer à endormir le spectateur (régulièrement réveillé par les bruitages assourdissants (seul replis pour rappeler au spectateur de garder les yeux sur les images)), renforce son impression de foutage de gueule. Si L’étrange couleur n’oublie jamais le langage des images, il a oublié qu’un film devait aussi enrichir un genre plutôt que de le paraphraser stérilement.

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le 22 juil. 2014

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Voracinéphile

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