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« Hitler est un gentleman » (Neville Chamberlain)

Un film qui traite des accords de Munich, c’est quelque chose de vraiment inédit. Le sujet ne doit parler à quasiment personne, et même parmi ceux qui connaissent, cela ne signifie pas qu’ils ont une compréhension globale de l’évènement, de ses enjeux et surtout de ses conséquences.


Et je dois dire que le film traite bien du sujet… jusqu’à un certain point. Car, et c’est très important, il s’agit de l’adaptation d’un roman. Qui prend donc des libertés avec l’histoire. Le spectateur avertit aura d’ailleurs remarqué que le film ne débute pas sur une phrase du type « Ce film s’inspire de faits réels ».


L'Étau de Munich s’ouvre donc en 1932 sur une séquence assez mal montée qui nous présente les deux personnages principaux de l’histoire : Hugh Legat et Paul von Hartman. Le premier est anglais, le deuxième allemand, et ils sont devenus amis en étudiant à Oxford.


6 ans plus tard, nous retrouvons nos deux protagonistes qui ont connu une belle carrière et cotoyent les sommets de l’État (en particulier Hugh Legat). L’Europe est alors au bord de la guerre, car Hitler a décidé de s’emparer des Sudètes par la force, un territoire appartenant à la Tchécoslovaquie qui, bien entendu, ne compte pas se laisser faire.


Avant de revenir sur le déroulement du film, je dois d’abord souligner plusieurs points positifs. La reconstitution globale est convaincante, que ce soit dans les décors, l’ambiance ou les personnalités des différents protagonistes. La palme revenant sans doute à Jeremy Irons, qui interprète de façon remarquable Neville Chamberlain.


On est plongé dans l’atmosphère de l’époque, et la tension est palpable. Les acteurs livrent de bonnes prestations, Jannis Niewöhner surjouant peut-être un poil son personnage. Le film se laisse bien regarder, et on a le sentiment d’avoir mieux compris les tenants et les aboutissants des accords de Munich…


Sauf que c’est là où il faut faire attention. Un roman reste un roman.


Déjà, l’histoire du fameux document dérobé par la secrétaire (?) de Paul qui veut le remettre à son ancien ami est inventée de toutes pièces. Il n’y a jamais rien eu de tel. Et en outre ce n’est pas très crédible, comment une personne lambda pourrait mettre la main sur un document aussi important ? Mais il fallait bien quelque chose pour lancer l’intrigue. Et c’est fait de manière assez subtile, puisqu’au finale ça n’a eu aucun impact sur le cours des évènements.


J’ai un plus gros problème avec la façon dont est montrée le déroulement de la conférence de Munich. D’abord, le film indique que c’est Chamberlain qui est à l’initiative de la conférence, car il aurait suggéré à Mussolini de proposer à Hitler un accord. Or, c’est faux, c’est bien Mussolini et lui seul qui a pris l’initiative, car bien qu’allié au Führer, il ne voulait pas la guerre.


Toute la conférence est centrée uniquement autour des Allemands et des Britanniques. Or, il s’agit d’un raccourci facile qui occulte les deux autres participants (Daladier et Mussolini), sans oublier le contexte général (les Tchécoslovaques ? Les Soviétiques?). Du coup, on se retrouve avec une version de la conférence un peu trompeuse.


Enfin, ce qui m’a pour le coup vraiment énervé, c’est cette phrase balancée à la toute fin du film. Je cite : « Le délai obtenu par ces accords a permis à la Grande-Bretagne et à ses alliés de se préparer et de vaincre l’Allemagne ». Mais quelle abominable connerie !


Parce qu’on peut très bien, sur le coup, se dire que c’est une bonne chose, qu’on a sauvé la paix, car on ne sait pas ce qui va se passer ensuite. Aujourd’hui c’est plus difficile, car on connaît la suite, mais il faut savoir se placer dans le contexte de l’époque en faisant fi de notre omniscience.
Par contre, le film commet une grave faute lorsqu’il se permet de porter un jugement de cette façon.


Et c’est là qu’il est temps de faire intervenir le discours historique.


En 1938, personne n’était prêt à la guerre. L’Allemagne pas plus que les autres. Le tour de force d’Hitler aura été de faire croire que le réarmement allemand était suffisant. Lui-même s’en était convaincu.


Et on peut dire de façon quasi certaine que si la guerre s’était déclenchée un an plus tôt, elle aurait pris une tournure différente. D’abord, la Tchécoslovaquie aurait été une noix difficile à casser pour l’Allemagne. L’armée tchécoslovaque pouvait s’appuyer sur la région escarpée des Sudètes, qui constituait une sorte de barrière naturelle. En outre, elle était considérée comme la meilleure armée de l’Europe orientale, pouvant s’appuyer sur ses industries d’armement qui étaient installées notamment dans le territoire des Sudètes. Enfin, la géographie du pays compliquait la tâche de l’Allemagne, et il n’y aurait pas eu d’accord avec l’URSS comme ce fut le cas contre la Pologne.


Justement, l’URSS, parlons-en. Bien que les Soviétiques n’aient pas été invités à Munich, ils auraient pu avoir un grand rôle à jouer. En septembre 1938, Staline était résolu à jouer la carte de l’alliance occidentale contre l’Allemagne nazie. Il essayait même de négocier un droit de passage à travers la Pologne pour intervenir en Tchécoslovaquie si l’Allemagne mettait sa menace à exécution. Bref, on le voit avec ces quelques éléments, le conflit aurait été radicalement différent, et pas à l’avantage de l’Allemagne. Surtout, Hitler aurait peut-être été renversé, car il existait bien au sein des hauts gradés de la Wehrmacht des réticences à entrer en guerre contre la France et le Royaume-Uni.


Maintenant, parlons des conséquences gravissimes des accords de Munich. Qui y a le plus gagné ? Hitler, bien entendu ! Il met la main sur un territoire stratégiquement important, doté, comme je l’ai dit, d’industries d’armement. Elles vont pouvoir tourner à plein régime, et à l’été 1939, l’Allemagne sera bien plus prête à la guerre qu’elle ne l’était un an plus tôt.


Surtout, les accords de Munich vont bouleverser toute la diplomatie européenne au détriment des Français et des Britanniques. Car les démocraties occidentales s’étaient engagées à défendre les intérêts des Tchécoslovaques. Leur trahison ruine toute leur diplomatie construite pendant l'entre-deux-guerres. Comment faire confiance à ses puissances qui ne tiennent pas parole et se soumettent à la volonté d’un dictateur agité ? Désormais, chaque pays de l’Europe orientale va chercher à s’accomoder avec Hitler pour être tranquille.


En URSS, le sentiment est le même. Staline constate qu’on ne peut accorder aucune confiance aux Alliés, et il saura s’en souvenir. Les accords de Munich préparent le pacte germano-soviétique, qui fut une vraie catastrophe.


Voilà ce qu’il faut avoir à l'esprit. Un roman reste un roman, et l’histoire n’est écrite que par les historiens. Ce qu’il faut retenir de cet évènement, c’est que la paix n’est pas toujours la meilleure solution.

Zero70
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le 25 janv. 2022

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