Dès les premières minutes, l'oeuvre dégage une âcre senteur de mauvais film. Deux nigauds se dandinent devant les titres, dont l'un avec des grimaces supposées comiques qui laissent pressentir une plongées dans les bas-fonds de la clownerie discount. Malgré tout la musique est entraînante, les couleurs du générique ont un charme vintage, et juste après on voit Vincent Price, dont le cabotinage charismatique promet monts et merveilles. Alors on continue. Ici, pour poser le truc, Price est un professeur fou qui veut conquérir le monde avec son armée d'androïdes féminins explosifs (et en bikini).


Malheureusement, les deux nigauds vus pendant le générique cannibalisent le film avec leur numéro de comiques troupiers. Un film bien désarticulé d'ailleurs, succession de scénettes où nos deux blaireaux - des agents secrets d'opérette - grimacent, cabriolent, et de la façon la plus fatigante du monde. Vincent Price continue impérialement au milieu de tout cela, et l'on se prend à espérer que son talent suffira à sauver le film, jusqu'au moment où on le voit travesti en mère supérieure d'un pensionnat de jeunes filles, et où on s'aperçoit avec effroi que le film qu'on vous a vendu comme une parodie de films d'espionnages lorgne plus du côté du Gendarme de Saint Tropez que de Notre homme Flint, pourtant pas non plus un chef d'oeuvre. Alors on sait qu'à moins de trouver un bol de schnouff, la soirée va être mauvaise.


Il faut être juste, la course éperdue de ce film vers les tréfonds lui permet parfois de toucher à un sublime d'un registre particulier, comme dans cette scène où les poupées érotiques du Docteur Goldfoot, tout à coup animées d'une folle envie de guincher, se dandinent pendant plusieurs minutes en bikini doré au rythme d'une B. O. délicieusement kitsch, à la grande joie du grimaceur en chef qui roule alors les yeux de ravissement. C'est bien simple, devant une débauche de mauvais goût aussi éhontée, aussi fascinante, on se croirait chez De Palma. Plus tard, après des pelletées de tentatives burlesques navrantes et de courses poursuites accélérées façon Benny Hill, quelques minutes de gags insolites réussissent presque à atteindre l'aimable absurdité des Z.A.Z., lorsque nos héros, en dirigeable, vont paisiblement frapper à la porte d'un avion à réaction détourné par le bon docteur. Si le film avait exploité en continu cette veine non-sensique plutôt que de nous servir du slapstick frelaté avec ses Abott et Costello de seconde zone, il y aurait certainement gagné, et le spectateur également.


Il n'empêche que si vous êtes capable de vous toucher sans discontinuer pendant une heure vingt, vous perdrez peut-être moins votre temps qu'en regardant ce machin, ou alors d'une façon peut-être plus agréable... vous voyez que ça mérite réflexion. Le fait que le nom de Mario Bava soit associé à cette faillite est un grand mystère, car le vieux briscard savait ordinairement s'y prendre pour imprimer sa marque aux commandes les plus quelconques.


Comédie déprimante, à éviter sauf pour les archéologues du bis transalpin et les fans obsessionnels de Vincent Price. Il semble cependant que cette production ait trouvé au moins un spectateur attentif en la personne de Michel Hazanavicius, dont la scène très drôle de pugilat déshabillé entre deux des personnages féminins du premier OSS 117 semble très inspiré d'un des rares bons gags du film de Bava...

JohannLeuwen
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le 9 nov. 2017

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Johann Leuwen

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