Ce film pourrait faire cas d’école. Un exemple particulièrement intéressant permettant de démontrer la très fine délimitation qui existe entre un film réussi et une proposition cinématographique ratée.
Et ici on est malheureusement du mauvais côté de la barrière !
C’est à dire que tout le propos de Friedkin consiste à interroger la posture de la justice face à des faits de guerre. Question éminemment complexe et éminemment intéressante.
Comment faire ?
Comment différentier légitimité militaire et usage inapproprié de la force ?
Pour cet exercice, le film débute sur une intervention militaire à l’ambassade américaine du Yemen.
Il s’agit d’exfiltrer l’ambassadeur, sa famille et son équipe suite à un soulèvement local ayant entraîné une manifestation d’envergure sur le perron de l’ambassade.
Face à cette foule hostile, tout va tourner mal. Sur ordre du colonel Childers (Samuel L. Jackson), l’armée américaine va faire feu, massacrant les manifestants réunis.
Le colonel devra répondre de ces actes face à la cour martiale.
Questions : la foule était t’elle armée ? L’armée américaine a t’elle fait feu sur de simples citoyens mécontents ou sur une foule de sympathisants représentant un réel danger ? En un mot l’armée américaine a t’elle légitimement fait usage de la force ?
Ce qui est excellemment réalisé réside dans le fait que Friedkin ne nous montrera pas le contrechamp de la scène matricielle du film.
Ne pas verra pas la foule au moment fatidique de l’ouverture du feu.
On ne verra pas si cette foule est armée ou pas.
On verra uniquement les militaires américains tirant à balle réelle sur une foule homogène et non détaillée.
On devra donc juger sur base de ce contrechamp invisible.
À la manière du jury militaire qui lui aussi devra rendre son verdict en analysant les différentes preuves et témoignages présentés lors du procès.
C’est évident un développement fort intéressant et qui appuie l’intrigue générale du film sur un élément de la grammaire du cinéma. Le contrechamp. Ou ici l’absence de contrechamp. L'image manquante.
C’est très puissant, judicieux et magistral à priori.
Qui plus est Friedkin ne s’arrête pas là puisqu’il dépend des personnages ambigus. Des personnages avec des aspérités fortes, des interstices mais lesquelles on peut mettre à peu près tout ce qu’on veut. Cela ajoute évidemment aux interrogations que le spectateur ne cessera de se poser tout au long du film.
Et ça aurait dû être comme ça jusqu’au bout !
Malheureusement, de manière assez incompréhensible, vers la fin du film, on verra l’image qu’il ne fallait pas voir. L’image nodale. Celle dont l’absence permettait de faire tenir toute la réthorique du film.
On verra ce fameux contrechamp.
Résultat : la démonstration et le développement du film s’écroulent instantanément comme un vulgaire château de carte. Tout devient banal, bancale et presque sans intérêt.
Ça pue la directive d’un studio qui n’ayant rien compris à l’approche artistique du film, jugera trop dérangeant le fait de ne pas voir, de ne pas savoir.
C’est vraiment dommage.
Sans ces quelques secondes dramatiquement contreproductives, le film aurait été tellement plus fort.
Interrogant la limite entre loi et morale, entre la théorie militaire et l’exercice de terrain. Interrogant aussi la limite des facultés humaines et la posture que parfois on adopte, à son corps défendant, face à des événements incontrôlables.
On est passé à deux doigts d’une nouvelle réussite du père Friedkin. On aura droit une proposition malheureusement inaboutie et ratée sur la forme.
À montrer dans les écoles de ciné comme une forme de raisonnement par l’absurde. Ou ce qu’il ne faut pas faire quand on se lance dans un exercice de ce type.
Dommage. 1000 fois dommage !