Le film commence par une succession de plans nocturnes montrant le flux des véhicules, probablement un dimanche en région parisienne. De loin, on ne distingue d’abord que les pinceaux lumineux des phares. Longues files interminables. Peu à peu, on se rapproche d’une autoroute où le nombre de voies augmente jusqu’à un péage. Là, on observe le mouvement des mains entre les tickets et les cartes bleues, certains gestes machinaux vers des téléphones portables. Mais les individus restent des anonymes dans la foule.

Puis, la caméra nous montre l’intérieur d’un appartement. On s’approche d’Anne-Marie (Dominique Blanc, prix d’interprétation féminine à la 65ème Mostra de Venise) dans sa salle de bains, devant un miroir qu’elle a obstrué avec du papier journal scotché. Au milieu, elle a découpé minutieusement deux petits morceaux qui peuvent s’ouvrir comme les battants d’une fenêtre. Elle les ouvre délicatement pour se regarder les yeux dans les yeux. Ce qu’elle voit est insupportable. Elle s’énerve et profère des insultes alors qu’elle a un marteau en main.

Anne-Marie est assistante sociale. A 47 ans elle a retrouvé sa liberté après 18 ans de mariage. Depuis elle a rencontré Alex (Cyril Guei), mais elle refuse de s’installer avec lui. Alors, elle lui dit qu’ils devraient moins se voir de façon à ce qu’il ait des chances de rencontrer quelqu’un d’autre. Effectivement, bientôt Alex annonce à Anne-Marie qu’il a rencontré une autre femme. Mais Alex n’arrive pas à se détacher complètement d’Anne-Marie qu’il veut ménager. Il veut aussi protéger celle qu’il vient de rencontrer, l’autre…

Dès lors, Anne-Marie devient d’une curiosité maladive vis-à-vis de l’autre. Et elle est très déçue d’apprendre que celle-ci a le même âge qu’elle. Au point de se sentir dépersonnalisée. Elle imagine que, pour Alex, ça a été elle comme ça aurait pu être une autre. Et une autre, ça y est, il en a trouvé une. Jusqu’où la jalousie possessive d’Anne-Marie la conduira-t-elle ?

Une des forces du film est de montrer que, dans sa vie de tous les jours, Anne-Marie peut avoir un comportement tout à fait normal. En particulier dans sa vie professionnelle et vis-à-vis de ses amis. Par contre, dès qu’il est question d’Alex, son comportement devient irrationnel. Ainsi, quand elle arrive à un rendez-vous avec Alex pour prendre un verre. Le lieu est chaleureux, mais le fantasme d’Anne-Marie est particulièrement violent.

[ Dans un train de banlieue, une séquence montre le moment où tout bascule définitivement. Anne-Marie regarde machinalement un autre train qui avance sur une voie parallèle, à peu près à la même vitesse que le sien. Le train se rapproche légèrement et elle se voit dans l’autre train. Cette autre elle-même la regarde. Surprise, elle se lève. Comme la distance varie légèrement, Anne-Marie se rapproche d’une vitre pour mieux voir. L’autre train se rapproche et Anne-Marie se trouve bien en face de cette autre elle-même qui la regarde d’un air narquois. Instant fugace. Bientôt cette autre elle-même (la « normale » ?) s’éloigne irrémédiablement et Anne-Marie sombre dans cette folie qui conduira à la scène du début. ]

Un film extrêmement maîtrisé qui montre la descente progressive vers la folie d’une femme amoureuse et possessive. Il montre aussi notre société où les anonymes sont interchangeables. Le film montre beaucoup de lieux où les uns et les autres peuvent se fondre dans la foule (autoroutes, galeries marchandes, parking d’un constructeur automobile, terrasse d’un centre commercial où Anne-Marie discute avec une amie). Dans l’appartement d’Anne-Marie, on observe aussi un inquiétant système de surveillance domotique qui surveille tout façon Big Brother.

Cafardeux à souhait, ce film coréalisé par Patrick-Mario Bernard et Pierre Trividic est un bijou de réflexion sur les relations amoureuses et la société occidentale moderne.

Le DVD présente en bonus un passionnant entretien avec Annie Ernaux. En tant qu’écrivain, elle revendique un genre très personnel, l’auto-socio-biographie. Le film est une libre adaptation de son roman « L’occupation ». Une adaptation dont elle se félicite, non pour des raisons commerciales, mais parce qu’elle y voit une œuvre très forte qui est une œuvre cinématographique à part entière. Elle explique que le langage cinématographique est différent du langage écrit. Elle est admirative de la façon dont les réalisateurs ont fait une œuvre personnelle à partir d’un roman où elle se racontait en tentant de se rapprocher au maximum de la réalité. Ainsi, le nombre 47 était une obsession dans le roman, ce que le film utilise à sa façon.
Electron
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le 10 janv. 2014

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