Synopsis : Tom Owens aide le vieux Sam Todd à diriger le relais de diligences de Rawhide, un coin perdu de l’Arizona. Mais Zimmerman, le chef d’un gang, arrive au relais dans l’intention de s’emparer d’une diligence transportant cent mille dollars en or et censée passer par le relais le lendemain matin. Tom, une femme de passage et son bébé vont se retrouver prisonniers d’une pièce bien gardée par des hommes de main, tiraillés entre tentatives de fuite, coopération temporaire et opportunités de rébellion. La nuit risque d’être longue.


Henry Hathaway est un des grands réalisateurs hollywoodiens qui, au même titre que Hawks ou Ford, a parcouru presque tous les genres au cours de sa longue carrière. Aussi en maîtrise-t-il les codes, il sait les mélanger et se les réapproprier. L’Attaque de la malle-poste est a priori un western, mais on le rangerait presque, a posteriori, du côté du film noir. C’est un western âpre, rêche, une fausse série B avec un souffle d’aventure et une tension dramatique comme seul Hathaway sait les doser. Son titre original, Rawhide (fouet utilisé pour les chevaux), donne le ton, quand on sait qu’il n’est jamais question ici de chevaux, mais bien d’hommes ; uniquement d’hommes. Avec la plupart des scènes sans musique, l’immersion du huis-clos et l’aridité des environnements sont totales.


Un western atypique dans sa mythologie qui n’est jamais déployée, ni visuellement (pas de grands paysages, pas de courses à chevaux) ni thématiquement (l’appropriation d’un lieu, le rapport à l’étranger, l’arrivée de la loi ou encore l’héroïsme). Les thématiques comme la façon de filmer font plus urbains, plus film noir, donc. C’est d’ailleurs un western très violent pour l’époque, tant physique (on tire sur un bébé) que psychologique (l’enfermement et le chantage), avec des antagonistes d’une immoralité rare et un protagoniste complètement impuissant. Nous gagnent alors un sentiment de malaise, d’instabilité, et une tension perpétuelle : la violence peut éclater à tout moment, les tentatives d’évasion peuvent être découvertes, les tentatives d’avertir le monde extérieur se retourner contre nos héros, etc. Tout peut arriver, mais de la même manière : tout peut ne pas arriver. C’est ce qui rend le film si passionnant : il est imprévisible, la vie de chaque personnage ne tenant qu’à un fil.


Tyrone Power est fabuleux en héros charismatique mais ici totalement impuissant et soumis aux ordres de ses ravisseurs. Il a peur, n’est jamais rassuré ni rassurant ; privé de ses atouts de « cow-boy » (de son revolver, donc), il est comme castré et rendu impuissant, humilié. Susan Hayward, vraie femme forte, compense en jouant le rôle de la rebelle bien décidée à ne pas se laisser faire, tandis que son compagnon d’infortune coopère au mieux pour gagner du temps. Hugh Marlowe est quant à lui à contre-emploi : habituel jeune premier, il est d’abord froid et terrifiant d’assurance, chef de bande à la fois menaçant et sadique, mais aussi refoulant une certaine éducation morale surprenamment rassurante (il semble avoir une parole, être calme et réfléchi, en rien psychopathe, et ce qu’il fait subir aux protagonistes n’a finalement rien de personnel mais doit être fait pour les besoins de son dessein). Une droiture sonnant comme une fébrilité pour ses bras droits qui ne tarderont pas à l’exploiter pour contester son autorité. Et parmi eux, justement, se tient le grand Jack Elam, éternel second rôle de western à l’œil défectueux inoubliable. Il a « la gueule de l’emploi » : immoralité totale, pervers sexuel et capable de tirer sur un bébé en riant. L’un des méchants les plus monstrueux de l’histoire du western, sans doute.


La véritable force du film, au-delà de la tension liée à la situation de domination qui s’installe, réside dans la pièce où sont retenus les héros. La gestion de l’espace est de manière générale brillante dans ce film, entre les intérieurs étriqués et les extérieurs vides, entre les fenêtres trop hautes et les portes moyennement insonorisées. Car c’est bien dans cette pièce que tout se joue. D’abord lieu maudit d’emprisonnement, la chambrette devient rapidement le havre de paix béni d’où les personnages peuvent élaborer leurs plans et creuser, en cachette, un trou que la nappe d’une table placée contre le mur permet de masquer. Mais c’est finalement dans cette même « cage » que les personnages seront les plus en sécurité, inaccessibles aux hommes de main de Zimmermann capables de toutes les pires tortures physiques et morales.


Hathaway réalise avec Rawhide un western assez unique en son genre, où l’immoralité et la violence psychologique font basculer le récit dans un thriller noir – aux noirs et blancs somptueux par ailleurs –, où la domination progressive et les rapports de force s’expriment par des cadrages millimétrés, des contre-plongées discrètes et autres jeux de miroirs. L’Attaque de la malle-poste influença sans doute Quentin Tarantino au moment d’écrire Les Huit Salopards, notamment dans la gestion des espaces clos et la façon de cultiver une tension de tous les instants qui éclate lors des scènes les plus triviales (manger, lire le journal, discuter de la pluie et du beau temps). Un thriller prenant à la mise en scène passionnante, malheureusement trop méconnu.


[Article à retrouver sur Le Mag du ciné]

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le 6 mars 2020

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Jules

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