« Street Angel », réalisé par le maître du mélodrame Frank Borzage en 1928, fut l’un des derniers films muets majeurs d’Hollywood, suivant de peu l’avènement du parlant (vers 1926), qui deviendra alors rapidement la norme. Borzage réunit le même duo d’acteurs que dans « Seventh Heaven » : Janet Gaynor (1,52 m de charme et de vitalité) et Charles Farrell.

Le film s’ouvre sur la ville de Naples. Au chevet de sa mère malade, Angela se voit prescrire un médicament pour la sauver. Elle n’a toutefois pas les moyens de se procurer un tel remède. À la fenêtre, Angela aperçoit un « ange de la rue », ces femmes qui vendent leurs charmes. En détresse, devant l’état terrible de sa mère à qui on la devine immensément attachée, la jeune femme descend dans la rue. Elle sollicite les passants, maladroitement. Elle commet l’irréparable, s’empare des quelques lires nécessaires à la survie de sa mère sur l’étal d’un commerçant, mais est immédiatement arrêtée. Condamnée, elle s’enfuit. Recueillie par une troupe de cirque, dont elle devient la vedette, elle fait la rencontre du peintre Gino.

Avant tout, « Street Angel » est la narration de la romance entre Angela et Gino. Elle, tout petit bout de femme, dont les épreuves de la vie ont fait disparaître la pureté et l’innocence, remplacées par un pragmatisme froid. Lui, grand gaillard rêveur, qui l’idéalise, qui a besoin d’elle : elle sera son inspiration, et finalement, sa salvation.

Dans le principe, l’histoire est simple, mais fonctionne, en grande partie grâce à la capacité de Borzage à raconter une histoire en transmettant des émotions par le visuel ; intrigue et textes ne sont pas nécessaires, ils sont simplement prétexte à être embellis.

Là où réside le génie de Borzage, c’est dans sa capacité à impliquer émotionnellement son spectateur. Il l’a dit lui-même : le succès du mélodrame procède plus de l’implication du public que de la véritable émotion jouée par les acteurs. Pour ce faire, il s’appuie sur une technique bien rodée.

Tout d’abord, des décors de studio très codifiés, rendu surréel de la ville de Naples. Dualité, manichéisme presque, des environnements, entre les lignes nettes du monde extérieur, froid et sombre, noir et blanc, qui s’oppose à l’histoire d’Angela et Gino, et les intérieurs plus gris, plus doux, du cocon des amoureux. Ensuite, une musique orchestrale qui accompagne parfaitement le film. Mais, là où Borzage excelle tout particulièrement, c’est dans la mise en valeur de ses acteurs. Par une utilisation virtuose de la lumière, de plans resserrés sur les visages, de jeux de regard, Gaynor et Farrell sont sublimés, devenant ce couple dont le spectateur veut le bonheur. Rien que la première scène du film est un tour de force, où par une simple utilisation de la lumière, l’occupation de l’espace et les regards de Janet Gaynor, nous sommes conquis : quoi qu’elle fasse, le spectateur sera toujours de son côté.

Gaynor et Farrell livrent une interprétation magistrale. Lui est tout à fait convaincant dans son rôle d’amoureux transi, doux rêveur, idéaliste, et dont le salut dépend d’elle. Gaynor, quant à elle, crève l’écran (elle fut par ailleurs récompensée par le tout premier Oscar de la meilleure actrice de l’histoire qui lui est décerné en 1929). Tour à tour innocente contrainte au vol pour sauver ce qu’elle a de plus cher, puis vedette froide, pragmatique et sûre d’elle, et enfin amoureuse déchirée : elle est parfaite dans son rôle.

Le pic émotionnel de film survient lors de la scène finale ; si les ressorts qui l’amènent peuvent être lourds, elle est d’une puissance inouïe, atteignant son paroxysme lorsqu’Angela, à genoux, les larmes aux yeux, son visage baigné de lumière, supplie Gino de lui pardonner. En tous cas, moi, je lui pardonne tout.

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le 4 févr. 2015

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Aramis

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