Toute la beauté et la magie du cinéma de Rivette vient du tournage. Le scénario est secondaire, on pourrait presque dire que plus il est succinct et épuré mieux c'est. Le montage influe mais ne vient jamais rompre ce qui s'est déroulé sur le tournage, laissant les séquences vivre dans l'unité de temps où elles se sont déroulées. Ce constat fonctionne pour la majorité des films de Rivette, pas tous (si la Religieuse ou Ne touchez pas à la hache par exemple sont animés par des thématiques habituelles, leur constitution diffère quelque peu), mais ceux qui constituent le cœur de son œuvre.
L'amour par terre en fait partie.
Le tournage, la liberté qui semble y régner, le terreau de créativité et de vibrations, le fait de faire durer les scènes par exemple, de peu les découper, de cadrer le corps dans son entièreté, tout ça laisse échapper des éclats. Un mouvement approximatif (on voit quelque fois des acteurs trébucher, tomber), des répliques en rupture, un rire mal placé, un acteur qui semble sortir de son rôle le temps d'un plan, ... plein de petits choses qui renvoient à un des thèmes centraux de son œuvre, la question de la représentation, le lien entre l'art et la vie. Que ce soit à travers, le théâtre, la danse, la peinture, et bien sur le cinéma (qui synthétise tous les autres) Rivette capte des corps et leur évolution de plus en plus fragile entre ce qu'ils sont sensé faire et ce sur quoi ça aboutit. Cela entraine une accumulation de niveaux de jeu et de vision, ou plutôt un enchevêtrement. L'éclat provient du plan un peu flou, un peu fou, ambigüe par son mélange, en creux ou en trop, le petit truc qui échappe à la mécanique et que Rivette parvient à saisir.
Chez Rivette on n'a jamais de temps d'avance sur l'intrigue, on accompagne les personnages, on vit les situations qui peuvent basculer et dériver à tout moment. Et on ne cherche jamais à se projeter ni à trop fouiller dans le passé, on vit l'instant. C'est de cela aussi qui vient cette sensation de liberté et de ludique assez unique. C'est un jeu de piste, spatial, psychologique, avec toujours un mystère à découvrir. Mystère qui importe moins que le chemin entrepris pour y parvenir.
Paris plein air est souvent ce terrain de jeu, mais quelque fois le décor et plus restreint. Comme ici où tout se déroule quasiment dans la grande villa d'un metteur en scène de théâtre. 2 actrices vont le rejoindre afin de préparer une pièce qu'elles devront jouer une représentation unique 8 jours plus tard. C'est entre ces 4 murs que le mystère va transpirer. Entre ces 4 murs bariolés, aux couleurs vives, on pourrait presque songer à Bava ou à Argento. Rivette instaure un chassé-croisé amoureux mais baigné dans une atmosphère qui confine petit à petit au fantastique. Les choses sont en suspens, les confrontations animent le cadre : entre personnage, entre le théâtre et la magie.
Au centre du film, Béatrice, femme disparue, autrefois l'amante et du metteur en scène de la pièce et de son ami magicien. Fantôme qui plane sur la maison et sur la pièce, reproduction du réel créée pour elle. C'est la Béatrice de Dante, celle qui guide le parcours et le referme. Celle qui est l'aboutissement, le désir suprême. D'ailleurs un mystérieux personnage, nègre qui écrit la pièce, se prénomme Virgil. C'est à travers ces lignes de texte qu'll va guider son metteur et scène à sa Béatrice.
Teklow13
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le 9 juil. 2012

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