Sans doute ma plus grosse déception de l'année. Le film tient la route niveau mise en scène et a le mérite d'aborder une face peu reluisante de l'histoire des États-Unis, tout en gratifiant également Robert De Niro d'un magnifique rôle à oscars. Malheureusement, il foire lamentablement ce qui constitue pourtant le cœur émotionnel de son intrigue, à savoir les relations toxiques entre les personnages.


Des rapports complexes sur le papier, teintés d'affection sincère, de faux-semblants plus ou moins conscientisés, d'exactions atroces jamais explicitement formulées, ou de trahisons abjectes commises au nom d'une fidélité pas toujours réciproque. Tout ceci rappelle évidemment d'autres types de relations observées chez le cinéaste, notamment dans ses récits mafieux comme Irisman ou les Affranchis. La différence ici, c'est l’absence d’ambiguïté sur la nature de ces relations.


Le personnage de De Niro a beau être présenté comme un homme d'affaires généreux, ami des osages, respectueux de leurs coutumes et œuvrant pour leurs intérêts ; dans le film en tout cas, il nous apparaît très vite comme un manipulateur raciste obnubilé par l'idée de s’accaparer les terres de ses prétendus amis indiens. Son implication dans la série de meurtres frappant la tribu ne fait aucun doute et, si l'on comprend son double jeu, à aucun moment, on ne parvient à le ressentir. D'où la difficulté à comprendre la confiance aveugle que semble lui porter la tribu d'osages alors que tout semble le désigner comme le coupable idéal.


Il en va de même pour sa relation avec son neveu Eernest, interprété par un Di Caprio en totale roue libre. Ce dernier voit en son oncle une figure paternelle bienveillante à laquelle il se doit de demeurer fidèle et d’obéir en toutes circonstances, alors même que le tonton ne fait strictement rien pour sa pomme ; se montre particulièrement odieux envers lui, l'entraîne dans une série de crimes innommables et va même jusqu'à lui demander implicitement d'empoisonner son épouse. Encore une fois, on VOIT le double jeu, mais jamais on ne ressent l'emprise qu'exerce le magnat des affaires sur son neveu, ni ce poids de la "famille" qui semble peser sur les décisions du jeune homme.


Et que dire de Molly, épouse d'Ernest, qui voit les membres de sa famille mourir les unes après les autres, quelques temps après leur mariage avec des hommes blancs et dans des conditions étrangement similaires. Comment concevoir qu'elle puisse délibérément s'enfermer dans le même genre de traquenard ? Qu'est ce qui justifie une telle confiance dans un mari en tout point similaire aux autres blancs dont elle se méfie, et avec lequel elle ne semble pas non plus vivre une grande histoire d'amour ?


C'est là que réside tout le problème de ce long-métrage. Dans les précédentes œuvres de Scorsese, l’ambiguïté des relations entre les protagonistes permettait aux spectateurs de mieux comprendre l'incompréhensible. C'est parce que l'on sentait une réelle affection entre le héros des Affranchis et sa "famille de cœur", tout en percevant en même temps l’interdépendance ces malfrats fonctionnant en vase clos, que l'on comprenait pourquoi le jeune homme leur demeurait fidèle et se persuadait qu'il ne lui ferait jamais de mal. Il en va de même pour le plus inégal Irishman, où l'on comprenait aisément les raisons poussant Franck Sheeran a exécuté les ordres de sa figure paternelle, même quand ce dernier lui demandait de tuer son meilleur ami.


Or, dans Killers of The Flowers Moon, cette absence d’ambiguïté retire toute consistance aux rapports entre les différents protagonistes. Les rôles étant clairement établis dès le départ, on ne suit plus des êtres humains complexes enfermés dans des relations toxiques remplies de faux semblants, mais simplement une innocente victime, abusée par son idiot utile de mari, lui-même manipulé par un grand méchant aux dents longues. A partir de là, le réalisateur n'a plus rien à raconter. Les scènes se succèdent pour montrer toujours la même chose sans jamais l'approfondir et le film, malgré la violence de ses images et de son propos, finit irrémédiablement par nous lasser.


Le final très "scorsesien" a beau offrir une chute satisfaisante à tous les personnages détestables de ce putain de long-métrage, jamais il ne rattrape notre cruel manque d'implication émotionnel durant l'énorme ventre mou de 2h15. On en ressort ainsi, non pas avec le sentiment d'avoir assister à une autre forme d'expropriation de la terre indienne par des hommes blancs fourbes et manipulateurs, mais d'avoir suivit des abrutis se faire berner comme des bleus par des grands méchants pourtant pas plus malins qu'eux et ça, ben c'est bien la preuve d'un immense gâchis.

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le 28 oct. 2023

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Alfred Tordu

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