Cran de sûreté bloqué, queue de détente figée

Commandé pour le centième anniversaire de la naissance de Kalashnikov, ce film n'a pas su où poser ses valises. Difficile d'y voir un biopic tant le personnage est vide, mais difficile également d'y voir le récit de la naissance d'une arme célèbre, tant la progression est absente et les liens entre les prototypes, invisibles. Les premières séquences sont pourtant prometteuses, mettant en scène un jeune tankiste en pleine bataille, blessé par un obus touchant son T-34 et qui, par le hasard de son sauvetage, découvre le tout nouveau PPSh-41, imparfait dernier né des pistolets mitrailleurs soviétiques. Sans éducation mais avec la passion de la mécanique et des armes légères, cette rencontre le poussera à se lancer dans l'élaboration d'un modèle d'automatique plus abouti.


Le problème majeur de Kalashnikov, c'est l'écriture de son personnage principal et l'absence de progression de son histoire. Les quelques idées de mise en scène et la minutie dans la reconstitution, en particulier celle des armuriers, ne peuvent rien pour endiguer l'échec : le personnage est non seulement lisse, sans aspérités, sans contradictions, mais il passera en sus le reste du film à tourner en rond, sautant d'un prototype à un autre sans aucune forme de gradation, le scénario se bornant à limiter les séquences aux arrêts de péage sur l'autoroute vers l'AK-47. L'inattendu, les péripéties ou les moments de doute n'existent pas. L'histoire se déroule inéluctablement comme un rouleau de papier triple épaisseur sur une pente douce, sans jamais dévier ni rebondir. L'état russe n'est peut-être pour rien dans ce naufrage scénaristique, mais je pressens une ingérence importante dans le projet.


Ce manque d'enjeu est ce qui définit le mieux Kalashnikov, qui donne l'impression d'un cours d'eau tranquille, bien balisé, propre et profondément ennuyeux. Je n'ai aucun problème avec la propagande, les récits nationaux font partie de l'histoire de l'art. Il est donc compréhensible qu'on fasse disparaître la collaboration avec Schmeisser sur l'amélioration du StG 44, qui est la base réelle de l'AK-47, et que la vacuité du personnage ne soit que la conséquence malheureuse d'une tentative de statufication de Mikhaïl Kalashnikov, mais cette épaisse couche de vernis gâche un potentiel immense. En somme il n'est pas question ici de respect historique, mais quitte à verser dans l'hagiographie et se lancer dans un récit d'ingénierie, le film aurait gagné à traiter de front la question des armes automatiques, à insister sur les échecs, à bosseler son personnage au-delà des flashbacks niaiseux et sans conséquence (mais tire sur cette poule avec ton arme improvisée, bon sang !) et à s'engager réellement à ses côtés dans la construction de ce qui deviendra l'appellation générique de toute arme automatique de plus de 30 centimètres pour l'ensemble des journalistes du XXIe siècle.


Seule consolation : les deux séquences finales renouent enfin avec la nature propagandesque de l’œuvre à travers l'imagerie soviétique, qui aurait dû être exploitée bien en amont ! Un conseil de visionnage, donc, sera celui de se contenter des dix premières minutes du film et de naviguer directement vers les cinq dernières. Cette astuce permettra de profiter d'un court métrage sympathique, sans souffrir de ce ventre mou d'une heure trente.

Nahitsu
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le 10 août 2021

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