Premier volet...mais pas pour la petite lucarne

Difficile de trouver un autre film français ayant suscité autant d'attentes et d'espoir ces dernières années que ce premier volet de Kaamelott. Cette série culte à l'écriture soignée a su aller au delà de son postulat de base, passant de simples pastilles parodiques des légendes arthuriennes à un récit plus travaillé et émouvant, avec une dernière saison qui laissait clairement entrevoir des ambitions de figurer sur le grand écran. L'alliance parfaite entre un moment de détente relativement innocent et une aventure plus profonde.


Et dans un paysage cinématographique tricolore où les grosses productions peu engageantes à l'humour facile masquent trop souvent les propositions de qualité, ce Premier Volet était clairement vu comme le Saint Graal. Ajoutez à cela une attente prolongée plus que de raison entre querelles de production et contexte sanitaire castrateur, et on eut tôt fait d'avoir des attentes disproportionnées. Car c'est oublier qu'une réussite sur petit écran ne garantit pas une transposition pertinente sur le grand. L'ampleur du produit n'est pas la même (tout doit être "plus grand" sur le fond comme la forme) et le créateur doit hausser son niveau de jeu en conséquence, le tout en proposant un long-métrage qui puisse aussi bien ravir les fans que convaincre les néophytes passés à côté du culte.


Or Kaamelott, aussi rafraîchissant et maîtrisé qu'il soit sur sa direction d'acteurs, ses dialogues, sa musique ou son humour, restait une production française, avec ce que ça implique de limites dans le budget ou la mise en scène. Aussi, le virage plus sérieux des dernières saisons était salvateur et offrit à la série certains de ses meilleurs moments mais il se confronta plus d'une fois au ton décalé d'origine. Si bien que des moments comiques pouvaient perdre en drôlerie tout comme des instants dramatiques peinaient à pleinement émouvoir. Et le trailer annonçait d'autres clashs en ce sens.


Enfin si Alexandre Astier reste un des acteurs les plus pertinents de la création audiovisuelle française et si son investissement est clairement à saluer tant le bonhomme est au four et au moulin (acteur, réalisateur, scénariste, compositeur...), ses talents de cinéaste devaient encore recueillir l'approbation des critiques. Son premier long-métrage est passé relativement inaperçu et ses deux Asterix, aussi réussis soient-ils, furent des coréalisations, Louis Clichy ayant gardé la main sur l'animation. Son ambition n'était pas à prouver, mais il restait à démontrer ses capacités à la matérialiser.


Au final, il y avait plus de chances d'être déçu que satisfait dans ces circonstances. Une déception que je retrouve dans pas mal de critiques ici et que j'ai pu ressentir dans les commentaires discrets des spectateurs présents à ma séance. Et si j'ai bien aimé le long-métrage et le considère comme réussi, il faut reconnaître ses limites évidentes.


Outre le souci de ton déjà évoqué qui diminue l'impact de scènes légères comme sérieuses (au point qu'on puisse attendre une chute inexistante pour celles-ci), le film pêche surtout dans son montage et son rythme. On passe trop vite à divers endroits différents du royaume de Logres sans nous laisser respirer, de quoi perdre le spectateur non-initié et donner l'impression que certains personnages se téléportent. Certes on sent que Astier voulait donner un moment important à chacun de ses acteurs et c'est tout à son honneur, mais tout ce côté précipité renforce l'impression qu'il suffisait qu'Arthur revienne pour que l'ordre établi depuis 10 ans soit bouleversé du jour au lendemain. Avec tout ça, la tyrannie de Lancelot pourtant écrasante pour beaucoup perd en menace et le film voit son ampleur réduite quant à la menace présentée, en tant que telle ou pour son impact sur les chevaliers en résistance.


Ce montage aboutit aussi à des personnages supposément importants réduits au rang de figurants ou disparaissant trop vite du récit, quand ils ne sont pas carrément absents. Ce qui était inévitable dans le premier cas (et même logique pour certains) est plus regrettable dans le deuxième, puisqu'on peine à comprendre l'appel à des têtes connues pour incarner des personnages au temps de présence limité. Je pense notamment à Guillaume Gallienne et Clovis Cornillac, très vite introduits mais trop vite expédiés, quand la famille de Karadoc est plus exposée au final. Certes leurs fonctions respectives dans le récit le justifient en partie mais ça reste dommage. Quant au troisième cas, je suppose que les suites combleront les trous à ce sujet.


Enfin, autre point faible du film, qui sera plus ou moins important selon la sensibilité de chacun sur la chose : la mise en scène. Alors non, je ne demandais pas à Astier de se faire une carte de visite pour Hollywood. Aussi, ce n'est pas du mauvais travail proprement dit, il sait mettre en valeur sa direction artistique et ses acteurs à plus d'une reprise. Hélas sa réalisation peine à renforcer les enjeux présentés dans l'histoire. Certaines scènes clés de l'intrigue s'en trouvent là aussi moins puissantes en conséquence, renforçant l'impression d'un gros épisode converti au cinéma plutôt que d'un vrai long-métrage.


Pour beaucoup, tout ceci sera rédhibitoire et je le conçois parfaitement, d'autant que le film s'adresse définitivement plus aux fans qu'aux profanes. Aspect renforcé par une bonne dose de clins d'œil plus ou moins appuyés, en plus de succéder à six saisons qui avaient bien établi certaines relations. Après, étant un gros amateur de Kaamelott, je ne pouvais qu'être plus magnanime face aux points faibles du film. L'important à mes yeux, c'était de retrouver cet univers sur grand écran avec toutes ses qualités intactes. Ce qu'elles sont, incontestablement.


Ainsi le film est toujours rempli jusqu'à l'os de dialogues percutants, entre des punchlines corrosives et les sempiternelles confusions de langage qui ont fait le sel de l'œuvre en premier lieu. Comme d'habitude, Astier prend le soin d'écrire pour ses acteurs, permettant ainsi une direction irréprochable. Les têtes connues sont ravies de retrouver leur personnage et les invités sont sur la même longueur d'onde, mentions spéciales à la prestance de Sting et à la bonhommie irrésistible d'Alain Chabat.
Même si le rythme pâtit en conséquence, chacun a sa petite scène privilégiée le mettant en valeur, que ce soit pour une blague ou un instant émotionnel. Les retrouvailles avec Arthur en sont le parfait exemple, chaque chevalier a sa réaction qui lui est propre, participant à certains des plus beaux moments du film, notamment Perceval dont on connaît le profond attachement envers le souverain.


Aussi, si ces personnages n'ont guère changé en cette décennie écoulée, leur place dans l'histoire n'est évidemment plus la même et il est intéressant de voir où se situe chacun d'entre eux, entre les résignés, les combattifs, les collabos ou les inactifs. Si quelques uns se retrouvent donc en retrait, leur position (à un ou deux près) reste cohérente quant à leur personnalité et leur fidélité (ou non) à Arthur. Leur façon toute personnelle de résister finira par avoir un impact sur l'histoire, que ce soit d'un point de vue concret (Perceval et Karadoc ou la Carmélide) ou symbolique (Bohort et sa table ronde), renforçant ici les enjeux.


Car bien entendu, au milieu de toute cette galerie d'huluberlus, Arthur reste au centre du récit. Héros qui s'ignore, souverain fuyant ses responsabilités, il finira petit à petit par retrouver la foi. Toujours habité par ses idéaux et désirs comme le rappellent de jolis flashbacks sur son enfance dans l'armée romaine, il sera aussi ragaillardi par la fidélité sans faille de ses proches, de ses chevaliers à sa femme Guenièvre, aboutissant à la plus belle scène du film et à un moment attendu de longue date. Cette quête aboutira à une conclusion assez surprenante mais toujours logique, refusant tout manichéisme et apprenant de ses erreurs, rappelant ses qualités de chef d'état et de guerre. Une progression parfaitement illustrée dans l'utilisation des Burgondes, passant de running-gag (hilarant au demeurant) à élément central du dernier acte.


Le tout bénéficie d'une belle direction artistique entre moult décors attrayants et mis en valeur, d'excellents costumes, et une musique comme d'habitude splendide, avec certains de ses meilleurs travaux dans le lot. Ici l'ambition propre au format cinéma est présente et tangible.


En tout cas, s'il est légitime de pester contre les défauts du film, il serait plus dommage d'être déçu parce que l'on attendait un produit parfait. Après tout Kaamelott n'a cessé de mettre en scène des personnages décalés, cabossés ou incomplets, avec lesquels il fallut une certaine patience avant de les guérir ou d'en tirer tout leur potentiel. Il en va de même pour la saga au cinéma, qui part d'un premier opus inégal mais appelé à se développer sur quelque chose de plus grand. Pour éventuellement déboucher sur le Graal le moment venu ?

Masta21
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le 14 août 2021

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