Jugement à Nuremberg est le premier film que j'ai l'occasion de voir de Stanley Kramer et je dois avouer que j'étais un peu dubitatif au départ étant donné le sujet et la durée du film. Je dois reconnaître que sur de nombreux aspects, le film est brillant, même si je mettrai un gros bémol sur la fin que j'ai quand même trouvée très moralisatrice, alors que durant tout le film baigne dans une certaine ambigüité morale.


Outre l'excellente mise en scène, avec notamment la scène où on passe de l'allemand à l'anglais qui permet de réellement donner une explication grâce au cinéma à pourquoi les allemands parlent si bien anglais, ce qui m'a marqué au début du film c'est que l'on semble s'intéresser avant tout, certes au juge américain, mais également à un jeune avocat allemand qui défend un juge nazi. Je ne m'attendais pas à ça du tout, je dois dire que c'est assez osé puisque celui-ci, patriote, aimant la personne qu'il défend, va tout faire pour qu'elle soit déclarée non coupable.


Alors certes, les nazis sont quand même les grands méchants de l'affaire, mais il se permet quand même de faire de Burt Lancaster (le juge nazi) un bon gars, passionné par la justice, etc. Un bon gars qui a été amené à faire des choses horribles, parce qu'il ne savait pas, parce qu'il appliquait la loi, etc. Je trouve ça dommage, parce qu'à partir du moment où il ouvre la bouche pour se repentir, on tombe quand même dans quelque chose d'assez moralisateur, on parle de grandes idées, de justice, de faire ce qui est juste... et étrangement ce qui est juste semble quand même être ce qui est américain.


Le fait qu'un tribunal étranger juge des allemands qui ont appliqué la loi allemande ne semble poser de questions à personne. Alors certes on tente de parler un peu de la géopolitique de l'époque, notamment avec les soviétiques qui montent en puissance et donc la nécessité pour les américains de ne pas se mettre à dos les allemands en rendant un verdict trop sévère, cependant je trouve malgré tout assez dérangeant de présenter les américains comme les juges légitimes du monde parce qu'ils possèdent le sens absolu de la justice.


Et ceci d'autant plus, que chose rare, on montre dans un film les dégâts que les américains ont fait à l'Allemagne. On y voit ainsi Nuremberg totalement détruite par les bombardements. Je n'avais pas vu ça au cinéma à part dans Berliner Express, film américain, mais tourné par Tourneur, un français. On y aborde également brièvement l'utilisation d'armes atomiques contre le Japon. Certains allemands ne se privent pas de justement douter du sens moral des américains et de leur capacité à juger, mais ça n'est jamais repris dans le film, ça reste des propos de nazis rageurs.


Bref, je trouve le film trop américain. Alors certes il y a d'excellentes choses, j'ai adoré les deux premières heures, mais la fin me semble tirer en longueur et beaucoup trop facile.


Reste que malgré ça, c'est vraiment plaisant à suivre, notamment parce que les acteurs sont tous brillants (et il y a une très belle distribution, même si le meilleur reste Schell jouant le jeune avocat défendant Lancaster), que la mise en scène est aux petits oignons, avec toujours le bon mouvement de caméra pour isoler l'avocat, puis le placer devant le public... pour coincer un personnage entre deux tentations différentes... Bref, du grand art.


Et je dirais presque le film amorce déjà la réflexion sur la banalité du mal que posera Hannah Arendt deux ans plus tard dans Eichmann à Jérusalem (ou dans Responsabilité et jugement). Cependant dans sa réponse Kramer est moins juste qu'Arendt et c'est ça qui me dérange. La fin est vraiment pataude, on sent qu'il faut que la cavalerie américaine débarque en expliquant le bien, le mal... et en plaçant la justice comme impératif catégorique. Sauf que cette justice est encore une fois la justice américaine... ce que les américains considèrent comme juste. Il y a ici une négation totale à considérer que l'Allemagne pays souverain, puisse décider de ses propres lois, ainsi une loi qui est également appliquée aux USA (la stérilisation des déficients mentaux) n'est plus considérée comme mauvaise.


Après c'est un film qui garde une large richesse thématique et qui a quand même l'audace d'aborder la responsabilité des alliés qui ont laissé faire Hitler, qui un an avant la guerre le louait encore, qui lui vendaient des armes...


Bref, c'est à voir.

Moizi
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le 30 sept. 2018

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Moizi

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