[Critique publiée dans CinéVerse]

Avant d’être un sport dominé par notre champion national Teddy Riner, le judo est un art martial fortement empreint de philosophie japonaise. Popularisé au cinéma en 1943 par le premier film d’Akira Kurosawa, Sugata Sanshiro (La Légende du Grand Judo), le virtuose hong-kongais Johnnie To rendait au mythe un hommage appuyé en 2004 avec son 25e long-métrage : Judo (Throw Down). Carlotta Films ressort ce mois-ci, une édition Blu-Ray richement remasterisée, qui nous invite à remettre les kimonos.

Ancien maître judoka, Sze-to Bo (Louis Koo) a brutalement abandonné sa discipline. Eloigné des dojos, il noie sa dépression dans le whisky bon marché du club karaoké qu’il gère dans le district de Wan Shai, Hong Kong. Par le hasard d’un scenario facétieux, Tony (Aaron Kwok), judoka itinérant et admirateur de Bo, vient défier l’ancienne idole. Aidé par Mona (Cherrie Ying), jeune prostituée se rêvant chanteuse, il va tâcher de remettre Bo sur les tatamis. Un objectif : vaincre l’invincible Lee Ah-kong (Tony Leung Ka-Fai), patron tout-puissant d’une triade locale et rival de toujours.

Il n’est jamais trop To

Littéralement "voie de la souplesse", le judo semble bien loin des fusillades habituelles du roi du néo-polar urbain qu’est le Johnnie To des années 2000. Après les mondialement acclamés The Mission (1999), Police Tactical Unit (2003) et Breaking News (2004), et avant le diptyque culte Election 1-2, To entame la plus grande décennie de sa carrière. Judo constitue ainsi une parenthèse étonnante entre ces thrillers musclés, au cœur d’une filmographie boulimique : pas moins de 13 films tournés entre 1999 et 2009 ! Pour Johnnie, il n’est jamais trop tôt pour filmer le grand bond en avant d’une ville-état qui change à chaque heure. Si l’intrigue n’a pas la robustesse de ses plus grandes œuvres, elle ouvre la voie à une réalisation au carrefour des genres : le polar, bien entendu ; le film d’art martiaux, évidemment ; mais également la bromance, et un onirisme de mise en scène qu’on ne connaissait pas forcément chez le Johnnie To de l’époque. En résulte un exercice formel fascinant, visuellement et musicalement.


L’être et le néon

Alors que Kurosawa mettait en scène Sugata Sanshiro au ras du sol et dans un élégant noir et blanc, To emprunte une esthétique sixties du plus bel effet. Dans son bar karaoké, sa salle d’arcade, son club de jeu, Judo s’allume de néons violet, vert et rouge, habillant la grisaille chinoise de ses halos photoniques surréalistes. On pense à un autre réalisateur japonais de génie, Seijun Suzuki, et son Tokyo Drifter fluorescent. Les références sont bien là et la mélancolie nous gagne quelque peu, quand résonnent à nos oreilles, les riffs de guitare d’une mélodie semblant sortie du cinéma d’action HK des années 90. Car comme chez un autre maitre du genre, John Woo, la nostalgie est au centre de ce Judo. Nostalgie d’une grandeur passée, d’une jeunesse révolue, d’une amitié éteinte. L’âge d’or du cinéma hong-kongais est passé et Johnnie To a sa pellicule chargée d’au revoir.

Tatamis-ennemis, au fil de la mélodie

La nostalgie idéalise toujours l’instant qui précède la chute. La chute fait peur ; elle est pourtant inévitable pour quiconque veut avancer. Apprendre à chuter, telle pourrait être la morale de Judo, quand la rédemption de ses personnages passe avant tout par l’acceptation de leurs fautes. « Telle est la vie » dit le proverbe japonais de Daruma : « Tomber sept fois et se relever huit ». Dans le dojo comme ailleurs, l’important n’est pas toujours de triompher de ses ennemis, mais d’abord de soi-même.

Kieros
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le 5 nov. 2022

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