En 1912, Joseph Conrad – l’auteur d’Au Cœur des Ténèbres et de Nostromo mais surtout ancien marin au long cours -, couvre pour The English Review l’enquête, puis le procès du naufrage du Titanic. Il écrit notamment ceci, pour, devant les rodomontades de la White Star Line :

« Une entreprise est un commerce, même si, à la manière dont parlent et se comportent ses représentants, on pourrait bien voir en eux des bienfaiteurs de l’humanité, mystérieusement engagés dans quelque noble et extraordinaire entreprise. »

On pourrait parfaitement appliquer cette formule au fétichisme qui entoure Apple depuis trente ans. Le fétichisme, rappelons-le, consiste à doter un objet banal de capacités magiques : un sac Vuitton serait plus solide qu’un sac de cuir normal, un Mac ne planterait « jamais », etc.

Jobs, le film, n’arrive pas finalement à se débarrasser complètement de ce fétichisme applemaniaque. A l’instar du citoyen lambda, à la fois fasciné et irrité par l’aventure Apple. Les révolutions technologiques et sociétales dont Apple a fait partie, mais pas seuls, du micro-ordinateur, de l’organiseur personnel, du smartphone. Il n’y a pas eu qu’Apple, mais aussi Microsoft, Palm, Nokia… Seul Jobs a réussi (et voulu) faire de sa vie un roman. Et maintenant, un film.

Jobs fait donc l’éloge, en demi-teinte, mais l’éloge quand même du « génie » Steve, l’Homme-qui-a-Changé le Monde-et-l’a-Rendu-Plus-Cool. Il est également assez malin pour chercher à satisfaire les anti-Steve Jobs, les contempteurs du très paranoïaque, très égoïste, très dur en affaires Mister Jobs. Procès à charge et à décharge, Jobs alterne les banderilles (patron égoïste, designer hystérique, père irresponsable) et les bouquets de fleurs (visionnaire, seul contre tous, victime des grosses corporations…) : sans liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur.

C’est malin, parce qu’il est difficile de juger le film, au final. Tellement équilibré qu’il n’offre que peu de prises à l’analyse critique.

Jobs est pourtant filmé n’importe comment (le plan LSD dans les champs de blés), lourdement dramatisé à certains moments (le départ de Wozniak), sous dramatisé à d’autres (le retour de sa fille Lisa) : Jobs est un mauvais film, techniquement parlant. Qui souffre affreusement de la comparaison avec une tentative récente de biopic hi-tech. Mesurer Jobs à l’aune de The Social Network démontre le génie de Fincher, si quelqu’un en doutait encore.

Mais pour son bonheur, le film de Joshua Michael Stern est porté par Jobs lui-même, c’est à dire Ashton Kutcher, qui est tout simplement extraordinaire. Pour cela, et pour revivre avec un peu de distance trente ans de storytelling Apple, ça vaut le coup d’aller voir Jobs.
ludovico
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le 23 août 2013

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