Le cache-cache de l'âme : mythe et vénération d'Damballa

Incantation vaudou, transfert d’âme, fascination et répulsion irrésistibles, rejet mental d’un objet du quotidien qui s’anime, poupée de chair et de sang avec humanisation progressive, psychologie enfantine, croyance naïve, Jeu d’enfant a tout d’un film de série B qui sait s’affranchir du format d'un genre pour trouver sa place parmi les plus grands. Récit d’épouvante, de suspens, au pouvoir d’évocation immense : voici une œuvre qui ne tombe jamais dans le grotesque, la bouffonnade, en multipliant des séquences assez graphiques, impressionnantes, marquantes, subjuguantes, potentiellement traumatisantes, particulièrement cinégéniques et qui sont toutes encore inégalées à ce jour dans la saga.

Malgré quelques facilités évidentes, le scénario favorise une succession de scènes qui évitent quasi-systématiquement les écueils du film gore, anatomique, artériel et viandard. Le cadre s’impose dès les premières images avec un Brad Dourif épatant, jouant Charles Lee Ray, l’étrangleur, instantanément terrifiant quand, en train de mourir, il s’en prend verbalement en hurlant au policier qui le traque (Chris Sarandon, très bien désigné pour le rôle), avant d’avoir l’idée d’user de ses connaissances en sciences occultes pour transposer son âme à l'intérieur du corps d’une poupée du magasin de jouets dans lequel il se trouve.

Le mythe prend alors naissance. Andy, 6 ans, joué par l’étonnant Alex Vincent, authentiquement touchant et crédible, sera le petit garçon qui recevra la poupée en cadeau. Ce contact enclenchera une intimité, un rapprochement malsain, un lien dérangeant, qui consiste à faire de cet enfant celui qui recueillera les confidences secrètes dans son lit de la part du jouet tueur. Cette naïveté, cette crédulité typique de cet âge, cette incapacité à se rendre compte de ce qui est réel et naturellement irréel, possible et normalement impossible, est le réceptacle d’une innocence qui est en danger, d’une enfance qui sera corrompue, avec un cocon familial qui finira temporairement éclaté.

Sur la forme, Jeu d’enfant use d’abord habilement de la steadicam, pour adopter le point de vue subjectif de Chucky quand il se déplace, avant d’exploiter plusieurs astuces en étant chaque fois adapté et saisissant : personne de petite taille afin que les mouvements soient réalistes (Ed Gale, courageux puisqu'il s'est immolé pour une scène sans être cascadeur de métier), poupée classique et surtout animatroniques pour mettre en avant un visage en plastique articulé au design particulièrement horrifiant (un choix judicieux qui permet de faire vivre de véritables objets de cinéma.)

La bande son de Joe Renzetti, quasi-exclusivement atmosphérique, joue de l’étrange avec des cordes parfois stridentes, toujours à-propos et circonstancielles.

La géographie est aussi idéale grâce à son urbanisme infect (celui de Chicago), avec ses ruelles sombres, funèbres, caractéristiques, malfamées et typiques des années 80.

Citons deux scènes particulièrement mémorables, garanties sans une goutte d’hémoglobine. D’abord Andy, enfermé dans sa chambre en hôpital psychiatrique, voyant Chucky par la fenêtre monter les escaliers au loin, et qui s’écroule en pleurant, disant qu’il est venu pour le tuer. Ensuite, plus original, quand sa mère, commençant à croire à l’histoire de son fils, ne sachant plus si elle est seule chez elle, somme la poupée de parler, la menaçant de la brûler dans la cheminée après s’être rendu compte que cette dernière fonctionnait sans pile.

Un des autres atouts du film, lui conférant une identité assez unique, est le traitement attribué à la mythologie vaudou, exposé de manière remarquable et pertinente. La résidence de Charles Lee Ray, montrée comme l’antre du tueur, nous dévoile des fresques murales iconiques très réussies, entièrement dévouées au culte du Dieu Damballa.

C'est la dernière partie qui est un véritable bouquet final qui mettra à l’honneur des effets spéciaux recherchés dans le meilleur de ce qui se faisait à l’époque.

Ne restera alors que le visage du petit garçon derrière une porte entrouverte, ne pouvant s’empêcher de regarder une dernière fois la tête calcinée et décapitée de la poupée, marqué pour la vie par cette expérience traumatisante, victime d'un viol psychologique, d'une atteinte à son intégrité psychique.

Psychiatrie, enfance, parentalité, maternité, poupée, deuil, vaudou, enquête, indécision, suggestion, surnaturel, le champ lexical du film évoque une réussite qui est de l’ordre du premier degré, de la psychose, générant une phobie jamais écœurante, surtout glaçante, presque stupéfiante, paralysante, qui fonctionne à travers des aspects horrifiques épurés, privilégiant avant tout l'effroi et l’épouvante. Une œuvre majeure, un bijou noir et macabre, qui accessoirement met en avant une certaine idée du cinéma artisanal, et dont l'antagoniste est devenu unique en son genre.

Le réalisateur refusera de tourner la suite, à cause d'un scénario, qui n'a, selon lui, "aucunes ramifications psychologiques".

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le 15 déc. 2023

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Oka Liptus

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