Jessie
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Jessie

Film de Mike Flanagan (2017)

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J'avoue que j'étais un peu sceptique en lançant le film. Au vu du sujet casse-gueule, je me demandais comment l'intrigue allait tenir sans appui de flashback ou fausse promesse (en faisant intervenir plus de personnages que prévu ou encore en lançant tardivement le concept de séquestration).


Je ne suis pas un fan des flashbacks. Souvent, ils nuisent au rythme, apportent des informations facilement à une intrigue qui n'en avait pas forcément besoin et l'écriture est moins forte puisqu'on sait déjà ce qui va arriver et que les conséquences sur le présent diégétique sont limitées (ou déjà connues). Ces flashbacks-ci ne sont pas vraiment utiles à l'intrigue (on avait compris le fond dès la première allusion lors de la dispute au début du film et les détails ne sont pas primordiaux pour comprendre l'intrigue) et cassent effectivement le rythme du récit. Ils cassent le rythme mais pour lui amener une respiration. Cette respiration, on aurait pu s'en passer, mais comme les flashbacks ne sont pas envahissants, j'ai accueilli ces pauses avec plaisir. Surtout que ces scènes restent liées au récit. En fait, ils ne servent pas uniquement à donner plus de détails historiques ; l'auteur exploite ces scènes intelligemment, joue avec ses personnages, offre des séquences donc très intéressantes.


C'est vraiment la force du film : son écriture. Les flashbacks ne sont pas les seules séquences inutiles à l'intrigue : la fin à rallonge, on aurait pu la couper à deux reprises avant que ne survienne le générique de fin : une première fois pour conserver un ton fantastique et une deuxième fois avec explications plus concises sur ce qu'il s'est passé. Mais ces scènes ne gênent pas. Parce que l'auteur les exploite à fond. Le long monologue en voix off sur la fin débouche sur une rencontre avec le 'monstre' assez mémorable ('you told me I was made of moonlight'), les flashbacks donnent lieu à de très bons dialogues faits de manipulation.


Le concept de matérialiser les consciences de l'héroïne (dont je n'en savais rien avant de lancer le film) est une excellente idée. Certes, le film en devient bavard, mais les répliques sont tellement bien écrites que c'est un régal de suivre ces échanges. Surtout que l'auteur a construit ses dialogues de manière à créer une évolution à la fois continue et logique ; la solution trouvée par l'héroïne, c'est grâce à tout le cheminement effectué au travers de ces conversations ; ces dernières n'avaient pas pour but uniquement d'informer le spectateur mais bien de faire évoluer le personnage, de lui apporter des solutions.


Les personnages sont bien construits : la femme et ses différentes consciences, l'homme et l'image dont la femme se fait, le chien, le détrousseur de cadavres. Tous suivent une caractérisation intelligente. L'héroïne est la moins construite : ce genre de coquille vide est surtout utile pour amener des intrigues. Tintin par exemple est une coquille vide qui n'attend qu'une chose : qu'on lui dise quoi faire, quel mystère percer, quelles personnes sauver. Ici, l'héroïne se laisse guider par ses consciences, ses peurs, ses sentiments. Il fallait qu'elle soit la plus dépouillée possible pour que ça fonctionne. Et son état d'emprisonnement, sa détresse rendent logique cet état neutre.


L'aspect fantastique est amené de manière surprenante (ça non plus je ne m'y attendais pas). L'auteur a l'intelligence d'y aller par petits bouts, de ne pas jouer toute ses cartes d'un coup, par conséquent, ça ne fait que monter sur la fin. Les explications finales m'ont attristé sur le moment, mais comme elles sont bien amenées et permettent de comprendre d'autres choses importantes, je les ai acceptées.


Pas seulement l'aspect fantastique, l'horreur aussi surgit en fin de métrage de manière étonnante. C'était vaguement annoncé au début du film mais il n'y avait pas de quoi s'attendre à une telle séquence à la fin. C'est précieux ce genre de construction ; aujourd'hui, les auteurs ont tendance à foutre le paquet dès le début, on termine ainsi le film avec une désagréable sensation de déjà vu, de pauvreté narrative. Ici ça ne fait jamais que monter, que gagner en force.


Il y a une petite dose d'humour aussi. Pas très envahissante, elle est surtout très noire et discrète. Mais ça amène de la couleur. Cela permet de dédramatiser, d'éviter le misérabilisme. La situation est cocasse, les auteurs ne s'en cachent pas et c'est tant mieux. De plus les conflits abondent : on ne perd ainsi jamais espoir quant à l'héroïne, on sent qu'il y a des solutions.


C'est un peu grâce à tout ce qui est installé, parfois même grossièrement : la porte laissée ouverte, le chien qui se nourrit d'une carcasse et que la femme attire avec des steaks, les informations entendues à la radio au début du film, le verre posé au-dessus du lit. Tout ça, on sait que ça va servir. On ne sait pas toujours à quoi, ou alors c'est très évident, mais c'est bien exploité, bien amené à chaque fois. Un bel exemple d'écriture en somme car rien n'est gâché.


La mise en scène est globalement soignée. L'imagerie de jour n'a rien de très mémorable, sauf peut-être durant le deuxième jour : une brume fantomatique semble garnir la chambre, lui conférant ainsi une ambiance assez glauque et effrayante. L'imagerie de nuit est également réussie, notamment grâce aux apparitions bien orchestrées du 'monstre'. Par des effets simples et des effets spéciaux restreints (et cheap), le réalisateur parvient à instaurer une peur primale (si bien qu'on en comprend la détresse de l'héroïne lorsqu'elle pense qu'il y aura une seconde nuit). L'imagerie du flashback est excellente : ce rouge qui envahit le cadre et ce contexte d'éclipse solaire donnent une allure surréaliste au film. C'est extrêmement plaisant, c'est poétique, c'est beau.


Le découpage et le montage sont efficaces. C'est filmé simplement, le réalisateur se met au service de son histoire. Son coup de génie à ce niveau, ce fut de filmer au plus proche de l'héroïne ; même lors des contre-champs, nous restons dans son point de vue à elle, nous ne voyons que ce qu'elle peut voir. C'est très malin.


On se sent parfois perdu au niveau de la spatialisation à cause du concept de matérialisation des consciences : certains de ces personnages apparaissent brusquement de nulle part ; il n'y a pas saut d'axe mais c'est un peu cette sensation que l'on ressent. Heureusement ces passages un peu confus sont très brefs et on se resitue très vite dans l'espace.


Les acteurs font un excellent travail. Bruce Greenwood est très bon, j'aime bien cet acteur, en plus il a gardé une belle forme. Mais c'est surtout Carla Gugino que l'on retiendra, pour sa double performance efficace. Les autres acteurs s'ne sortent bien : celui qui joue le monstre apporte beaucoup de charisme grâce à un jeu très sobre ; les acteurs des flashbacks sont très bons aussi (on y retrouve d'ailleurs celui qui jouait le gosse principal dans E.T.).


Les décors et le maquillage aident. Les décors, avec cette manière de filmer, donnent une sacrée ambiance (les rideaux qui volent) ; les maquillages permettent de marquer la souffrance de l'héroïne (on sent une progression) de permettre aux acteurs de se reposer sur autre chose que leurs propres épaules. Je pense également au 'monstre' qui n'aurait pas ce charisme sans ce maquillage combiné avec les vêtements et la prestation de l'acteur. Le réalisateur a réussi à créer là une nouvelle icône car je me souviendrai longtemps de ce regard rouge, au même titre que les griffes de Freddy par exemple ; il s'agit là d'une entité mémorable et ça faisait longtemps que je n'en avais pas rencontrée une.


L'aspect sonore est intéressant : peu de musique ! Et que c'est bon d'vaoir des dialogues sur fond silencieux, d'avoir un climax sans musique pour nous rappeler que nous sommes dans l'urgence ou l'horreur. Ce silence musical permet de se focaliser sur les bruits ambiants ; cet aspect n'est pas développé de manière expérimental, c'est même assez discret, mais lors de certaines scènes clefs, cela permet de comprendre un peu mieux l'aspect parano de l'héroïne autant que l'imagination hallucinatoire.


Bref, j'ai passé un excellent moment.

Fatpooper
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le 27 déc. 2017

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Fatpooper

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