Ce premier volet du diptyque consacré par Jacques Rivette à Jeanne d'Arc va de Vaucouleurs à Orléans.

Et c'est une grande réussite.


En premier lieu, pour Sandrine Bonnaire, dont le physique et l'âge un peu trop mûrs, ne sont pas forcément ceux auxquels on pense tout de suite pour incarner Jeanne d'Arc, morte à 19 ans. Et c'est justement malgré cela, et même grâce à cela, que l'actrice en devient d'autant plus convaincante que son intériorisation du personnage est manifeste et crève l'écran...

L'actrice a profondément assimilé la personnalité de l'héroïne et nous la restitue avec un naturel qui relève du prodige : la sainte nous est ainsi rendue familière et profondément attachante, comme "faisant partie de la famille". Mais n'est-ce pas, justement, l'essence-même de la sainteté et du dogme catholique de la communion des saints ? Partage d'une seule et même Vie, celle de Dieu Lui-même, entre les vivants de la terre et les vivants du Ciel, ces vivants d'après la mort...


Même si Rivette ne vise pas explicitement ce niveau spirituel, la grande objectivité et la grande honnêteté intellectuelle avec lesquelles il regarde Jeanne, et nous la fait regarder, intègre sa vie mystique toute simple et nous l'expose tout aussi simplement, naturellement, comme allant de soi.


En ce qui concerne la mise en scène, Jacques Rivette renouvelle le genre du film historique en tournant la vie de Jeanne d'Arc quasi comme un documentaire, faisant alterner les scènes de la vie quotidienne de la sainte, comme si elles étaient prises sur le vif, avec des plans fixes sur les différents protagonistes qui l'ont connue de près et qui témoignent de ce qu'ils ont vécu avec elle, comme ils ont pu le faire lors du procès de réhabilitation.


Un tel parti pris n'est pas sans risque : Rivette prend son temps pour filmer l'épopée de l'héroïne en s'attardant sur ce qui en paraît le moins extraordinaire : Vaucouleurs et les longs temps d'attente et d'entêtement de Jeanne chez son oncle, la chevauchée jusqu'à Chinon, encore son attente avant de délivrer Orléans...

Mais la patience que Rivette nous demande pendant ces 2h40 s'avère nécessaire par son évidente catharsis. Cet effort salutaire nous décrasse du rythme hystérique de notre vie "moderne", en nous faisant épouser la lenteur de la vie médiévale : il fallait en effet plusieurs jours, voire plusieurs semaines, pour relier deux grandes villes, et cela non seulement pour le transport des hommes, mais aussi pour le courrier, la nourriture, etc.

C'est ce qu'a voulu rendre Rivette et c'est particulièrement convaincant et prenant : nous voici plongés dans le XVème siècle et son quotidien grâce à une reconstitution historique d'autant plus efficace qu'elle est d'une grande sobriété.


Même si le manque de moyens se fait sentir dans les scènes de batailles, Rivette ne recherche en fait aucun effet spectaculaire et facile (tout le contraire de Luc Besson dans le même sujet !). Il préfère se concentrer sur les relations humaines des différents et nombreux protagonistes de la Pucelle, ce qui donne l'occasion de savoureux dialogues, écrits avec talent, souvent pleins d'humour, que l'on goûte encore mieux au sein du déroulement paisible de l'histoire.


Oui, la vrai richesse de ce film réside en sa grande et profonde humanité. De la sorte, les personnages, même les plus secondaires, nous sont rendus fort attachants par la proximité que le réalisateur tisse entre eux et nous, si bien que nous finissons par partager le quotidien le plus banal de cette aventure pourtant hors du commun.


En ce sens, Rivette, par sa salutaire lenteur, préfigure la dimension contemplative de Xavier Beauvois dans "Des hommes et des Dieux", avec cette même finalité humaniste de nous amener à nous mettre à la place des personnages pour mieux les comprendre et, pourquoi pas, mieux les aimer...


Tant et si bien que nous nous réapproprions notre Histoire, cette Histoire de France, qui, en perdant ainsi sa majuscule imprimée sur le papier des livres savants, la retrouve finalement gravée au plus intime de notre cœur...

David_Waléra
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le 23 nov. 2023

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