J'ai lutté contre mes tripes afin d'attribuer une note qui corresponde à la résultante de l'affrontement de mes tripes et de ma sagesse intérieure (on peut en rire!) après le visionnage de cette... chose. Et force m'est de lui donner 6/10 malgré toutes les tares qui dégradent cette version "moderne" d'une des figures les plus importantes de l'histoire de France et, bien sûr, de celle du monde occidental. Je me souviens avec une vivacité particulière du tsunami de critiques négatives qu'avait soulevé ce film de Besson, un cinéaste qui ne démontre guère de sens de la nuance et de vérisimilitude - à supposer qu'il s'en préoccupe.
Donc, si on essaie de dégager tout ce qui cloche dans ce portrait de la tragédie personnelle que fut la vie de Jeanne, dont la "mission" demeure toujours entourée de questions restées sans réponse :
* Au tout premier chef, l'interprétation aux limites du supportable de Milla Jovovich. Cette actrice possède une flamme intérieure qui, bien contrôlée, aurait pu servir admirablement les aspects mystiques et la détermination inébranlable de Jeanne durant la reconquête d'Orléans, ainsi que sa dimension spirituelle. Au lieu de cela, Milla défonce la baraque avec la subtilité d'une hyène enragée qui n'a pas bouffé depuis une semaine. Ce n'est pas une héroïne portée par la foi et la force de ses "visions", mais une folle hystérique par laquelle aucun combattant à ses côtés n'aurait pu être poussé à soutenir les assauts victorieux de leurs compagnons français. Visiblement, Besson n'a aucune idée de ce qui pouvait animer Jeanne. Il s'agit d'une jeune femme de 19 ans qui a bel et bien existé, et qui a l'avantage que l'on possède beaucoup de données objectives sur sa personnalité, ses valeurs, ses idées, sa foi, etc. grâce aux "heures" du procès pour hérésie (et même celles de son procès de réhabilitation). Rien de cela ne transparaît. Tout ce que l'on nous sert de la vraie personne de Jeanne la Pucelle se résume à sa confusion quant aux tractations de Cauchon avec les Anglais (avec, malgré cela, des erreurs factuelles trop nombreuses pour les énumérer).
* De pair avec l'invraisemblance du portrait de Jeanne que nous livre Jovovich, aucun effort de la part de Besson pour donner à son tableau l'impression que l'on a affaire à des personnes du 15ème siècle s'exprimant en moyen français, et non à des Américains ou des Français se prenant pour des Américains (l'emploi ici de Cassel, Gos, Gregory, etc. s'avère futile puisqu'ils s'expriment comme des touristes Français américanisés s'exprimant à peu près sans accent). Bref, Besson se fout de la vérisimilitude que tendent à rechercher les productions historiques contemporaines. Ceci est d'autant plus décevant de la part d'un réalisateur français tournant sur une figure aussi fascinante que cette paysanne de rien qui a changé le cours de l'histoire de l'Europe par une incroyable obstination et une conviction mystique ahurissante. Ce ne fut pas une Dona Quichotte que les Anglais condamnèrent au bûcher, mais une jeune femme probablement dépassée par les événements dont on peut à peine imaginer la détresse de la conscience de sa destinée. Soyons bons princes quand même : vers la fin du film, Besson nous montre une Jeanne tourmentée par l'incrédulité qu'on fasse d'elle une monnaie d'échange pour faire la paix entre la France et ses occupants en déroute. C'est une fin qui la dépassait, et je devine à peine la tourmente dans laquelle son âme de chrétienne très dévote mais terriblement naïve dut être plongée durant les sombres moments de sa fin tragique. On perçoit cela un peu à la toute fin, mais le portrait général qui précède est si grossier et si simpliste qu'on ne peut croire réellement à cette Jeanne.
Quant aux qualités indéniables qui m'ont empêché d'envoyer paître tout le film, on doit souligner le réalisme des sections de batailles, et le travail de documentation et le souci de véracité de la réalité brutale et animale de la guerre. On nous montre une Jeanne prise de nausées à la vue du triste spectacle d'un champ de bataille. ( "Ce n'est pas ÇA que mes visions m'indiquaient!" est une réplique mémorable !), en dépit de l'issue victorieuse pour les soldats du royaume de France. Le film n'est donc pas dénué de tout effort pour nous faire comprendre la trajectoire de Jeanne tout au long de sa courte mais intense épopée.
* Il est dommage que le mysticisme du personnage soit loupé totalement à la faveur des excès prosélytiques du scénariste. Chaque fois que le Hollywood contemporain (ou les grosses productions internationales) se voit contraint de décrire le fait religieux, on nous force à gober le message sempiternel que la religion (surtout chrétienne) est forcément toujours fanatique et aveugle, et que ses grandes figures telles Jeanne d'Arc, Thérèse d'Avila, François d'Assise, etc. étaient forcément des schizophrènes en liberté qui s'ignoraient. Tout ce qui en relève est mauvais. Forcément, il fallait que Jeanne d'Arc soit montrée comme une pauvre d'esprit qui ne comprenait rien à rien. Ses accomplissements? Le résultat d'heureux (!!!) concours (au pluriel) de circonstances - et non le fruit de la conviction d'une paysanne qui s'est crue investie d'une "mission" - peu importe que ce soit le fruit de "visions" voisines d'hallucinations propres à un esprit atteint d'une forme quelconque de psychose.
Le cas de Jeanne d'Arc demeure à ce jour auréolé de mystère. Cependant, le succès évident de la mission qu'elle s'était vu donnée n'est peut-être pas étranger à d'autres cas de petites personnes apparemment faibles et sans défense, mais animées de convictions profondes comme le cas du Mahatma Gandhi, don't on connaît l'hallucinant parcours. À bien des égards, Gandhi fut le pendant indien de Jeanne d'Arc. Sa personnalité extrêmement mystique fut un moteur important de sa patiente révolution. Avec la réserve qu'impose la distance historique, le mysticisme de Jeanne d'Arc eut assez d'aspects positifs pour "forcer" le cours de l"histoire dans un nouveau sens , et ce, malgré l'apparent dénuement de la "messagère"...

La Jeanne d'Arc de Besson n'est donc pas complétement ratée. Son problème majeur est le caractère bizarroïde de sa Jeanne, qui, à travers l'hystérie amphétaminée du jeu de Jovovich, donne dans un donquichottisme qui frise un amateurisme primaire.

Dommage.

RichardPoulin
6
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le 23 août 2022

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Richard Poulin

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