Rappel des faits: le 10 juin 1982 disparaissait Rainer Werner Fassbinder, des suites d’une rupture d’anévrisme. Il n’avait que 37 ans mais laissait derrière lui pas moins de quarante films, réalisés en l’espace de 13 ans seulement! C’est dire que l’on n’en finit pas de redécouvrir de nouvelles pépites, au sein de cette filmographie pléthorique, dont on connaît principalement les grandes œuvres «tardives», Le mariage de Maria Braun (1979) et Lili Marleen (1981), avec Hanna Schygulla, ou Lola, une femme allemande (1981), avec Barbara Sukowa, autre égérie de la Nouvelle vague allemande. C’est ainsi qu’après la sortie de Le Monde sur un fil, passionnant thriller d’anticipation réalisé pour la WDR en 1973, un autre film inédit, tourné trois ans plus tard pour la même chaîne de télévision allemande, bénéficie d’une édition en DVD. Resté dans un tiroir pour d’obscures raisons de droits d’auteur, Je veux seulement que vous m’aimiez fut très critiqué par les aficionados de Fassbinder lors de sa diffusion sur le petit écran. En effet, loin de l’image souvent provocatrice véhiculée par des «mélodrames alternatifs» comme Tous les autres s’appellent Ali (1974) ou Le droit du plus fort (1975), Je veux seulement que vous m’aimiez dressait un portrait tendre et réaliste d’un jeune couple «normal» dans l’Allemagne des années 70. Ouvrier sur un chantier, Peter multiplie les heures supplémentaires et le travail au noir, au risque d’y perdre sa santé physique et mentale, pour offrir à son épouse confort et sécurité matérielle. Mais la société de consommation est sans pitié pour ceux qu’elle prend dans son engrenage et le rêve vire bientôt au cauchemar...


D’une histoire simple, Fassbinder tire un film touchant, d’une extraordinaire richesse thématique et stylistique. Si la critique du «miracle économique» allemand est sans appel, Je veux seulement que vous m’aimiez (le titre à lui seul fait figure de manifeste) ne saurait se réduire à un pamphlet anticapitaliste. En plus d’être victime de l’injustice sociale, Peter souffre au plus profond de lui-même du manque d’amour et de l’égoïsme glaçant de ses parents. Muré dans une solitude grandissante, incapable de réclamer son dû (à sa famille, à son patron), le jeune homme finira par commettre l’irréparable... Au fil d’une magistrale construction en flash-back, Fassbinder inscrit au cœur de sa mise en scène les signes de l’enfermement de son personnage («barreaux» de lumière, premiers plans obstructifs, cadres de miroirs), qui tirent le récit vers une dimension presque fantastique. Un authentique chef-d’œuvre méconnu qui n’a pas pris une seule ride!

SteinerEric
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le 3 août 2021

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Eric Steiner

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