Le constat général est plus que positif et les points de réjouissance nombreux. L'empathie suscitée, le traitement d'un thème socio-politique peu abordé médiatiquement, ou encore les interprétations pertinentes des actrices et acteurs fondent sa réussite.


J'ai tout de même trouver plusieurs défauts, dont le plus important est cette voix off finale à la morale ambigüe, mêlant reconstruction nécessaire des victimes et une forme de relativisme quant à la portée émotionnelle de violences sexuelles en comparaison d'autres évènements forts d'une vie. J'imagine que c'est une maladresse plus qu'une volonté assumée de nier la violence de tels actes, mais cela reste bien regrettable, d'autant plus pour ponctuer un si beau film.


Un autre point négatif, plus mineur, réside dans cet abus du gros-plan-champ-contre-champ durant les quasi deux heures de l'œuvre. Si l'intensité émotionnelle et l'empathie suscitée est une grande force du film, une plus grande variété de plans n'aurait pas nécessairement été problématique, au contraire.


Cela étant, la restitution des échanges et la construction délicate de rapports humains est mise en scène avec réussite. Si l'ensemble paraît plutôt positif et bienveillant, les scènes de tensions sont présentes, et les incompréhensions également. Les attitudes, erratiques sans verser dans un pathos ridicule, sèment le malaise et ne rendent que plus belles les scènes de bienveillance qui surviennent presque banalement. Un petit cadeau, une culture culinaire partagé, un bon mot. Des moments si simples et si doux. Tout ce qui fait naitre entre les protagonistes un lien précieux pour la suite de leur relation. Démontrant là une grande part de l'utilité de cette justice restaurative. La création de lien social, sans être la panacée, apaise et réconforte, victime comme délinquant.e.


En termes de personnages, Gilles Lellouche fait du Lellouche, mais son emportement classique n'est que de passage. Son personnage, comme tous les autres ou presque, demeure plus complexe que le beauf bourrin. Les médiatrices et médiateurs peuvent sembler robotiques mais c'est là tout leur intérêt me semble t-il, tant leur cadre figé surligne par contraste la liberté de parole progressive des autres membres de la table ronde, symbolisé par le pertinent abandon du bâton de parole. Sans tomber dans les clichés grotesques, les personnages m'ont semblé plutôt représentatifs et crédibles - malgré quelques répliques surfaites comme ce questionnement autour du terme "rabibocher".


Par ailleurs, bien qu'une absence de rencontre finale entre frère et sœur aurait pu être une idée cinématographique tout à fait opportune à mes yeux, la focale mise sur la situation d'inceste permet de nuancer la relative réussite de la table ronde, et donc in fine de la justice restaurative. Si le propos du film reste majoritairement positif sur le sujet, la relation entre Chloé et son frère vient démontrer la difficile mise en place de ces rencontres, la violence potentielle de chaque mot, de chaque non dit. La scène de leur rencontre, magnifiquement interprétée, minimaliste dans ses échanges mais si puissante dans ce qu'elle révèle, ponctue des mois d'une préparation éprouvante. Le parti pris de ne pas nous montrer son criminel de frère, dans une évidente mise en situation de ce que peut ressentir Adèle Exarchorpoulos, est également judicieux.


Enfin, le choix de narrer l'inceste et le viol comme un fait social intime et familial, et non pas comme d'un fait divers impliquant un dangereux inconnu dans un rue glauque, s'avère tout à fait à propos tant ces crimes sont le plus souvent commis au sein de la sphère familiale.



8/10





Evan-Risch
8
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le 31 mai 2023

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Evan Risch

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