"Même si on déballe tout, on ne dévoile pas grand-chose."

Regarder "Jane B. par Agnès V." est une expérience extrêmement déroutante, à titre personnel, car il s'agit d'un documentaire très original, aux contours en perpétuelle évolution, parvenant à créer du contenu loin d'être inintéressant ou anecdotique sur un sujet qui par ailleurs aurait tendance à profondément m'indifférer, et en adoptant une forme excentrique qui aurait tout pour m'agacer en temps normal. "Jane B. par Agnès V.", c'est ainsi comme son titre le suggère un film d'Agnès Varda portant sur la personne de Jane Birkin, à la fin des années 80. Et ce portrait décalé pose une question assez pertinente : est-ce que la mise en scène d'un script donné (fictionnel, donc) peut devenir documentaire à partir du moment où l'on en montre toutes les coutures, les limites, et l'envers du décor ?


Dans un premier temps, le jeu biographique autour de la limite entre réalité et fiction se fait un peu trop ostensible, un peu trop insistant. Le film en fait sans doute trop, il dévoile son principe un peu trop rapidement, il est trop arc-bouté sur lui-même, sur sa mécanique, pour convaincre instantanément. Mais petit à petit, le mélange prend vie et le tableau prend forme. Est-ce une œuvre fictionnelle qui est rendue documentaire (au sens où elle documente sur quelque chose, en l'occurrence une personne, au-delà des artifices de mise en scène évidents) ou bien l'inverse ? Il est très difficile d'y répondre, même si la démarche revendique une approche sincère et volontaire. En apparence en tous cas... La conscience de l'influence de l'observateur sur le milieu observé ne suffit pas à supprimer cette influence, et même les interviews (ou plus précisément ce qui s'apparente à des interviews) semblent être des versions dramatisées de véritables conversations.


Le documentaire prend la forme d'une série d'entretiens plus ou moins sérieux, plus ou moins fantaisistes, entrecoupés de mini-sketches dans lesquels Jane Birkin se met en scène pour illustrer son présent et son passé. Des rôles qu'elle a tenus, des rôles que la réalisatrice voudrait qu'elle tienne. Entre un personnage issu de la Renaissance et une danseuse de flamenco. Certains sont drôles, d'autres sont passables. On se demande parfois où elles veulent en venir… Tantôt "Jane d'Arc", tantôt Calamity Jane. Tantôt la Jane de Tarzan, tantôt la Jane de Gainsbourg. Les deux femmes s'amusent autour de ce motif et leur plaisir est en partie communicatif. Jane Birkin a beau faire de nombreuses confidences, on n'est pas sûr de véritablement mieux cerner son personnage (comprendre "sa personne"), à l'image de cette phrase qu'elle prononce dans le film (et dont on ne saurait à qui attribuer la maternité) : "même si on déballe tout, on ne dévoile pas grand-chose". "Jane B. par Agnès V." affirme parfois son surréalisme de manière un peu trop forcée, et sa liberté de ton affichée peut paraître légèrement artificielle. Mais le dialogue entre les deux femmes reste ludique, comme si elles jouaient au chat et à la souris, et l'existence que le film retrace à travers cette série de clins d'œil conserve une bonne part de sympathie et de générosité.

Morrinson
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le 14 avr. 2017

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