Laurent Boutonnat est connu pour ses réalisations clipesques (au profit de Mylène Farmer) qui lui ont fait une solide réputation. Avec "Jacquou le Croquant", il opère un retour remarqué à la réalisation, 11 ans après le cuisant échec commercial de "Giorgino", en s’attaquant à un monument de la littérature française, le roman éponyme d’Eugène le Roy. Mais Laurent Boutonnat ne s’est pas contenté de réaliser seulement le film. Il l’a produit lui-même et en a même signé la musique.
Mais parlons d’abord de son style. Dès le départ, nous reconnaissons son empreinte qui l’a fait entrer définitivement dans le milieu très fermé des cinéastes avec le clip "Libertine", second titre de Mylène Farmer qui se hissera au sommet des charts français. Sur les prises de vue nocturne au cimetière, on pensera aussi à l'image du clip "Tristana". Je ne saurais trop expliquer pourquoi, j’ai pensé en parallèle à plusieurs films. Premier exemple, j’ai vu une référence, très succincte, à "Le dernier des Mohicans" lorsque l’enfant Jacquou court dans la forêt pour fournir du ravitaillement à son père. Avec les cheveux aux vents, j’ai cru voir l’espace d’un instant Daniel Day Lewis lors de la traque de son gibier. J’y ai vu un parallèle aussi avec "Braveheart", la pépite de Mel Gibson, lorsque la révolte gronde.
Car c’est de ça qu’il s’agit : une rébellion dont la classe la plus défavorisée (et pourtant bel et bien indispensable) rêve, et qui va trouver un chef d’orchestre en la personne de Jacquou, animé par une soif de vengeance inspirée par une grande injustice. Pourtant, rien ne pouvait laisser présager de ce destin incroyable puisqu’il menait avec ses parents une vie tranquille, mais tout bascula un jour de chasse devant l’innocence de ses yeux d’enfant. Et à travers cette épopée, on sent que Laurent Boutonnat est un amoureux du 7ème art, nous régalant d’une kyrielle de plans fabuleux,


comme l’ombre du curé chauve sur le mur dans les instants qui précèdent un châtiment opéré en place publique, comme si le réalisateur voulait diaboliser cet instant.


Les 45 premières minutes sont donc de haute volée et très immersives. Pourtant il y a bien une ou deux longueurs ici et là.


La plus flagrante étant lors de l’agonie de la mère de Jacquou, en insistant bien (peut-être un poil trop) sur les conditions déplorables apportées par l’insalubrité de leur logis.


Ensuite il y a à peu près 30 minutes de flottement, où le spectateur est moins dedans. C’est pourtant une phase nécessaire dans la psychologie des personnages, mais on craint alors que le film ne s’enlise jusqu’à la fin. Ce n’est pas le cas. A la moitié du film, intervient le véritable tournant du film, le moment le plus fort émotionnellement, là où les regards chargés de défiance et de détermination sont échangés, les deux caractères les plus forts se lançant des défis, Jacquou (Gaspard Ulliel) d’un côté, et le Comte de Nansac (Jocelyn Quivrin) de l’autre.
Ces deux comédiens opposent leur talent de façon totalement différente, leur seul point commun étant le regard à travers duquel ils parviennent à faire passer énormément de choses, remplaçant avantageusement d’inutiles dialogues. Et que dire de cette brune ténébreuse, fille du Comte de Nansac ? Elle répond au curieux nom de Bojana Panic, avec un faciès qui rappelle curieusement celui de Jeanne Tripplehorn à l’époque "Basic instinct". Le reste du film ne fait que confirmer l'immense talent de Laurent Boutonnat, en signant une fresque digne des plus grands, avec d’excellents costumes de Jean-Daniel Vuillermoz, et les décors réussis de Christian Marti. Ce ne sont pas les quelques petites incohérences qui gâchent cette fête visuelle, comme les chaines du pont-levis qui pendent alors qu’elles ont été remontées


lorsqu’elles se sont brisées sous le poids des assaillants


, ou encore avec le terme résa employé par le curé.


alors qu’il part chercher une bonne bouteille dans sa cave personnelle


Je doute fort qu’un tel mot fusse utilisé à cette époque, et je pense que la teneur des dialogues constitue le seul véritable point faible de ce film, bien moins soutenue que ce à quoi on peut s’attendre pour une telle époque. Il n’empêche que nous avons parfois à une belle panoplie de "noms d’oiseaux" sortant principalement de la bouche du Comte de Nansac.
Quant aux seconds rôles, on regrettera la disparition prématurée d’Albert Dupontel, ce dernier incarnant le père de Jacquou, le seul personnage qui apporte véritablement de l’action et du rythme dès le début du film. Quant à Tchéky Karyo, il est égal à lui-même et campe avec beaucoup de charisme ce docteur qui sauvera Jacquou d’une mort promise avant de veiller sur lui avec bienveillance et amour, accompagné du concours du curé du village.
Sans être un chef-d’œuvre pour les diverses petites raisons que j’ai invoquées ci-dessus, "Jacquou le Croquant" demeure néanmoins un grand film, une grande fresque qui a sa place aux côtés de films du même genre, à la différence près que celui-ci est français. Je n’ai pas vu personnellement les autres réalisations de Laurent Boutonnat, mais le talent qui l’anime est évident, et la rareté de ses créations nous fait languir.

Stephenballade
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le 30 avr. 2020

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